Murambi : la réédition du livre «miracle» de Boubacar Boris Diop

Essayiste et romancier sénégalais, Boubacar Boris Diop participe durant l’été 1998 à l’ambitieux projet d’écriture sur le génocide au Rwanda (perpétré quatre ans plus tôt) avec neuf autres écrivains dont Tierno Monénembo (Le Roi de Kahel, Seuil, 2008). Le roman éclaté Murambi, le livre des ossements (Stock, 2000) éclôt et émerveille les critiques et le public de par son intelligence et sa lucidité.

L’auteur sénégalais réussit onze ans plus tôt à écrire sur l’inconnu et le méconnu que représente le massacre du peuple Tutsi, mais non sans difficultés. Il le confesse dans une postface inédite et intéressante (version rééditée chez Zulma), en accompagnement à son texte, qui n’a pas pris une ride et continue à éclairer les esprits les plus embrumés.

Il offre notamment une introspection sur son séjour à Kigali, sa collaboration avec les auteurs tels que Venuste Kayimahe (un des deux auteurs rwandais présent pour le projet littéraire), son rapport laborieux avec les rwandais méfiants encore marqués par les atroces évènements. Mais son contact ne se limite pas juste au plan humain puisque le romancier s’aventure dans différentes villes pour se confronter à la réalité de l’horreur encore palpable autant par les yeux que par les mains.

«La quasi impossibilité de sortir indemne de l’expérience rwandaise»

Le Pays des Mille Collines quatre ans après les exterminations, ne s’en est pas encore remis (s’en remet-on réellement ? Et si oui, peut-on se relever entièrement d’une telle tragédie ?) et entame doucement un deuil civil malgré l’odeur de la mort se dégageant des cadavres et des souvenirs.

Boubacar Boris Diop y était à la fois spectateur et témoin, et souligne avec justesse la mission de l’écriture comme moyen de rendre justice, de donner la parole à ceux qui ont été privé du droit de voix. Et la voix ne se limite pas aux victimes mais aussi aux bourreaux pour faire taire une fois pour toute ceux qui défendent encore aujourd’hui l’idée d’un double génocide sous-entendant des tortionnaires dans les deux ethnies.

Murambi, le livre des ossements est donc un récit adoptant des points de vue multiples avec des personnages faisant tantôt partie du FPR (front patriotique rwandais), tantôt partie de l’effroyable mécanisme de destruction. Récit se voulant un portrait d’un pays déchiré de l’intérieur, Murambi est une lecture difficile mais nécessaire pour apprendre de nos erreurs : l’aveuglement par les médias – seul regard sur l’international -, manipulateurs d’informations n’ayant aucun remord à jouer de la confiance naïve de son audimat en lui dressant une hiérarchie erronée de l’actualités, et l’indifférence face aux drames africains sous-estimés, amalgamés et généralisés.

 « […] c’est en raison de notre propension à voir dans les tragédies africaines non pas des évènements singuliers mais des séquences successives et répétées à l’infini d’un cataclysme généralisé et continu.»

Cette indifférence touche autant l’Occident (à cette époque plus obnubilée par la Coupe du Monde de soccer aux États-Unis) que les pays limitrophes au Rwanda restés silencieux et parfois inactifs. Tout le monde est coupable et le romancier sénégalais se jette lui-même la première pierre, par humilité et par compassion.

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