Sur le rivage du monde de Sylvain L’Esperance

Pour son film Sur le rivage du monde, le cinéaste québécois Sylvain L’Esperance a choisi d’aborder la question des migrants d’Afrique qui se retrouvent à Bamako, au Mali, à mi-chemin entre leur pays d’origine et l’occident, terre plus que promise.

Dans une de ses maisons en ruine qui pullulent dans les grandes métropoles africaines, ici  le « ghetto », à Magnambougou, surnommé le « quartier des migrants » trois hommes (Ibri Félou, Érik César Toukov, Érik Mbongue) et une femme (Amih Leïla) récitent un texte, il est question d’exil, d’aventure brisé. Et pour cause. Après moult tentatives, ces jeunes, affublés des termes migrants, exilés attendent de pouvoir repartir vers un avenir meilleur ou de régulariser leur situation de sans statut.

Presque tous les hommes de ce documentaire, et les Camerounais s’en rendront vite compte, sont originaires du Cameroun, pays riche, gouverné par des abrutis, qui détruisent des générations de jeunes diplômés en les maintenant dans la misère.

«Les jeunes Camerounais que j’ai filmés, qui ont quitté leur pays, font partie de cette jeunesse indocile qui, comme celle du Québec, refuse le monde qu’on leur laisse en héritage», explique Sylvain L’Esperance dans une entrevue.

Conséquence, plusieurs jeunes hommes en âge de travailler, tentent leur chance à l’étranger au péril de leur vie. Quelques fois, la chance leur sourit. Souvent, bien souvent, les policiers et militaires d’Algérie, Tunisie, Maroc, les ramènent comme des troupeaux sur le désert, à quelques pas de la frontière malienne.

Souvent sans le sou et l’honneur, ils ne savent pas comment revenir chez eux, et l’envie de repartir est plus forte que tout le reste. Plusieurs d’entre eux, plus de 150, se sont d’ailleurs retrouvés dans le « ghetto ».

« Après de multiples tentatives pour gagner l’Europe, César, Félou et Érik se retrouvent aujourd’hui à Bamako, déroutés, incertains, mais tentant malgré tout de s’inventer des manières de rêver encore. »


C’est cette misère que sylvain L’espérance décrit avec merveille dans son documentaire de 105 minutes, présenté en première mondial à l’édition 2012 des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, en Compétition officielle.

Un peu comme un huis clos, comme une pièce de théâtre, le cinéaste présente chacun des protagonistes. Pour ces derniers, le théâtre, le chant, et la poésie sont leur seul exutoire, leur seule façon de rêver à ce monde meilleur auquel aspirent tous les êtres humains. Et ce rêve, la camera de Sylvain L’esperance le capte avec brio et dignité.

Dans ce continuum spatiotemporel érigé par le réalisateur, et où le temps semble figé et les personnages/héros du film immobiles, seules les minutes qui s’écoulent avant une fin indubitablement apocalyptique sont palpables et témoignent de l’inégalité et de l’iniquité de cette vie.

Pour autant, si les douleurs et blessures ne sont pas pansées et si la mélancolie est tangible, l’espoir persiste cependant, dur comme les roches de ce désert tant redouté.

« Amih, comme beaucoup d’autres jeunes femmes africaines, essaie avec une résolution inébranlable d’échapper à l’avenir qu’on lui avait tracé. »

La femme de cette histoire est différente, mais singulière. Les histoires se ressemblent toutes du côté des hommes. César et Félou s’attaquent aux pouvoirs corrompus qui asphyxient le continent africain.

« Durant les années où les occupants ont vécu dans le ghetto, ils ont tenté de sensibiliser la population à leur situation et le théâtre est vite devenu pour eux un véhicule pour faire entendre leur voix », souligne dans une entrevue.

Comme dans ces précédents films, Sylvain L’Esperance continue sa quête d’interrogation sur les conséquences du capitalisme. Depuis 2002, l’Afrique est au cœur de ses « principales préoccupations ». Après une entrée en matière en Guinée, avec La main invisible en Guinée, le documentariste s’est intéressée au Mali avec Un fleuve humain en 2006, Intérieurs du delta en 2009 et maintenant Sur le rivage du monde.

« Il nous suffisait, venant de là-bas et étant du monde, de tenter de dire ce qui, nous dit-on, semble résister à tout dire »

Achille Mbembe

Pour en savoir plus :

– Le site web du film

– La page Facebook du film

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