Equateur : très délicate navigation sur le fleuve Congo

Malgré la remise en état du balisage du fleuve, naviguer sur le Congo reste malaisé surtout en cette période de basses eaux. Une très grande vigilance du capitaine et le précieux concours des pêcheurs éclaireurs n’empêchent pas les accidents. Reportage sur le bief Mbandaka-Kinshasa.

Il est 9 heures à Wendji-Secli, localité située à 20 km en aval de Mbandaka, chef-lieu de la province de l’Equateur (Nord-est). Après un contrôle effectué par le propriétaire, le bateau M/B Mama Léonie s’apprête à lever l’ancre à destination de Kinshasa, à 720 km plus au sud. Soudain, les passagers se bousculent, se disputant le peu d’espace dans cette embarcation où près de 200 personnes ont pris place. Certains en viennent aux mains. Le bateau, juste un pousseur avec deux barges devant, transporte en outre des tonnes de mitrailles à vendre dans la capitale. Entre cette masse de ferraille, les hommes (femmes, enfants, jeunes et vieux compris) ont de la peine à trouver une place où s’installer et caser leurs bagages.

Bravant le risque, quelques passagers ont pris place sur une montagne de mitrailles. D’autres se sont engouffrés dans l’une des cales, où ils ont pu trouver un peu d’espace. « On n’a pas de choix, voyez-vous ! Rien n’a été prévu pour le transport des passagers », se plaint un jeune voyageur. A peine une latrine pour tout ce monde, pas de cuisine… Tout le monde est à la merci des intempéries.

Pendant que les passagers s’aménagent un espace de vie sur le navire de fortune, Damar Mayanga, le capitaine, tient fermement la barre et conduit attentivement l’engin. En s’éloignant peu à peu de Mbandaka, il a constamment les yeux rivés sur les panneaux de signalisation.

Zigzaguant d’une rive à l’autre, au milieu des îlots, le bateau poursuit sa route en suivant le chemin balisé, marqué par des bouées de différentes couleurs. « Nous devons respecter scrupuleusement les signaux, surtout en cette période d’étiage, explique le capitaine. Sinon, un accident est vite arrivé… »

Balisage insuffisant

En cette saison sèche marquée par une forte baisse du niveau du fleuve, des bancs de sable et des rochers émergent des eaux, ce qui rend la navigation très dangereuse.

Damar évite de voguer pendant la nuit. Il met de temps en temps en garde les passagers, les priant de ne pas se pencher d’un seul côté des barges, ce qui les fait dangereusement basculer. Il se félicite du balisage du fleuve, qui n’avait plus eu lieu depuis de longues années. Mais il regrette « l’insuffisance et la petite taille des nouvelles bouées » posées en 2010, par rapport à celles d’autrefois.

Après trois jours sur l’eau, la navigation devient plus pénible à l’approche de Bolobo, importante cité située à mi-chemin entre Mbandaka et Kinshasa. Un épais brouillard couvre le fleuve, réduisant la visibilité à cet endroit jalonné de bancs de sable et d’épaves d’embarcations. A chaque instant, un matelot, canne graduée à la main, se met au-devant de la barge pour jauger le niveau des eaux et guider le capitaine, en lui faisant des signes de la main.

Tout cela ne rassure pas les passagers, qui réclament les « éclaireurs ». Il s’agit des pêcheurs qui connaissent bien les secrets du fleuve. Les capitaines des bateaux qui parcourent le fleuve recourent à eux, depuis l’époque où la signalisation avait disparu sur le fleuve. Aujourd’hui, leur aide est toujours précieuse, malgré la présence de nouveaux signaux. Aux aguets, on aperçoit une petite pirogue avec trois personnes à bord, qui vient s’amarrer au M/B Mama Léonie.

Deux d’entre eux montent jusqu’à la passerelle. L’un s’empare de la barre et se met à guider le navire. En dépit de son expérience, Damar le laisse faire et apprécie : « Ici, ils nous conduisent dans leur propre route. Celle de la Régie des voies fluviales est restée de l’autre côté. Sans eux, il est difficile de s’en sortir sur ce tronçon et surtout de franchir le légendaire Sandry Beach (impressionnante baie de sable qui donne du fil à retordre aux navires, en aval de Bolobo, ndlr) ». C’est Ousmane, le père des deux jeunes éclaireurs, qui va reprendre les manettes pour faire passer le bateau à travers les méandres de la dangereuse baie.

Des accidents qu’on peut éviter

Au passage, le M/B Léonie croise un bateau charriant des grumes qui a échoué sur un banc de sable et qui se faisait aider par un autre pousseur pour s’en sortir. « La moindre déviation suffit pour se retrouver sur un banc de sable », prévient Ousmane. Les accidents sont ainsi nombreux. La police fluviale en a compté cinq graves ces deux dernières années. Rien qu’en 2011, sur le fleuve Congo et certains de ses affluents, ils ont causé la mort d’une centaine de passagers. Deux embarcations formées de pirogues motorisées sont notamment entrées en collision alors qu’elles naviguaient la nuit, les moteurs coupées, leurs passagers dormant tranquillement…

« Le balisage et les éclaireurs ne suffisent pas à réduire le nombre d’accidents sur nos cours d’eau. Les matelots doivent aussi observer le réglementation édictée par la Régie des voies fluviales », avertit Simon Ilonga, de la police fluviale de l’Equateur. Mais la plupart de ces bateaux de fortune passent outre les règles, naviguant notamment la nuit. Avec sa lourde embarcation de ferrailles, d’hommes et de diverses marchandises, le capitaine Damar est arrivé à Kinshasa, après six jours d’une délicate navigation.

Par Matthieu Mokolo

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