Goma : les femmes célibataires ont la cote

Performantes, les femmes célibataires sont privilégiées dans des entreprises et Ong. Ce sont elles, autrefois méprisées, qui aident aujourd’hui leurs familles. Ce qui incite certaines femmes malmenées par leurs maris à quitter leur foyer pour un emploi.

Soixante pour cent des femmes travaillant au Nord-Kivu, tant dans le public que le privé, sont… célibataires, d’après le rapport 2011 de l’Inspection provinciale du travail. Elles gagnent entre 30 et 1000 $ par mois, et subviennent de plus en plus aux besoins de la famille. Un paradoxe car, dans la coutume, ces femmes sont de peu d’intérêt et d’importance.

« Depuis la mort de mon père, ma grande sœur me scolarise et paye les frais de santé pour toute la famille », dit Patric Eyenga, un orphelin de père pris en charge par Divine Eyenga, infirmière à l’hôpital provincial du Nord-Kivu.

Pourtant les coutumes du Nord-Kivu réservent respect et considération aux femmes mariées. Une célibataire âgée de 20 ans est négligée : car une fille est destinée à se marier, à travailler pour son mari et, en retour, la famille bénéficie de la dot.

Mais le célibat est devenu un atout dans le monde du travail : ces femmes sont appréciées par les Ong et elles sont souvent sollicitées pour du travail de terrain. La plupart des femmes mariées, considérées comme des ménagères par leurs maris, ne peuvent souvent pas y prétendre : « Après avoir signé un contrat de deux ans à l’Ong Solidarité Internationale comme agent de terrain, mon mari m’a suggéré d’abandonner car, dit-il, je dois bien prendre soin de nos enfants », confie Anita Lenga.

Privilégiées par les employeurs

D’après le rapport du syndicat provincial des travailleurs, publié le 1er mai lors de la journée mondiale du travail, 80% des Nord-Kivutiens sont chômeurs. Et les femmes ne sont plus mal placées pour trouver à s’employer : certaines entreprises, surtout des Ong, privilégient leurs candidatures.

« Nous les encourageons pour qu’il y ait un équilibre de sexe dans le milieu du travail. Les femmes célibataires sont favorisées pour leur disponibilité à travailler sous pression en cas de missions d’urgence », dit le sélectionneur d’une Ong qui a préféré garder l’anonymat.

Pendant que des parents sombrent dans le chômage, ces femmes travailleuses épaulent leurs familles : « Mon père est chômeur et ma mère malade, ce qui me condamne à travailler beaucoup pour les nourrir, vêtir et scolariser mes quatre petits frères », dit Jacky Kavira, comptable à l’entreprise commerciale KAS-MAT. Pour elle, « le mariage signifie abandonner ma famille ». La compétence, mais aussi le privilège dont jouissent les femmes célibataires les encouragent à dénoncer certains abus.

« Nous combattons strictement les formes de discrimination, à l’instar du harcèlement sexuel qui constitue un frein pour le bon fonctionnement des entreprises », assure Sébastien Bamira, contrôleur au bureau de l’Inspection provinciale du travail. L’arrêté N0CAB, Min/037/ du 27 juin 2011, publié le 3 mai 2012, rapporte le licenciement d’une dizaine de fonctionnaires de la fonction publique. La plupart pour harcèlement sexuel, précise-t-il.

Reconsidérées par leurs familles

« Une femme célibataire âgée de plus de dix-huit ans est considérée comme maudite par notre coutume, c’est pourquoi on cherchait à tout prix à marier la fille précocement. Même sans dot, pour lui épargner de la malédiction », dit un vieillard d’une nonantaine d’années de l’une des tribus de la province, qui se souvient avoir cédé ses filles aux hommes sans leur consentement.

Les choses changent petit à petit, si bien que le mariage est devenu une cérémonie normale et non obligatoire pour les familles. Certains chefs de familles commencent à reconsidérer leurs filles célibataires grâce à leurs sens des responsabilités : « Parmi mes six enfants, c’est l’unique fille qui me vient souvent en aide », dit Zainabu Lela, une vieille dame d’une septantaine d’année qui habite avec sa fille, employée à la mairie de Goma.

L’indépendance de ces travailleuses incite certaines femmes mariées précocement et malmenées par leurs maris à quitter leur foyer pour un travail qui pourra subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants.

Bon nombre d’elles se sont rendu compte qu’elles étaient mariées de force : « Mes parents m’ont cédé en mariage alors que je n’avais que quinze ans, trop naïve et innocente. Je ne pouvais pas prendre une décision personnelle dans cet engagement. Par après mon mari commençait à me tabasser dès qu’il était saoul », raconte une mère de six enfants qui a décidé de quitter son mari. Elle fait des travaux ménagers au bureau de la Mission d’observation des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco).

Les actes de violence qui caractérisent encore certains foyers, ainsi que les pratiques de polygamie, ne cesse de démotiver ces femmes à se marier : « Voulant épouser une deuxième femme, mon père tabassait ma mère jusqu’à l’exclure du toit conjugal », se rappelle ainsi Salima Djumapili, qui dit ne pas aimer les hommes à cause de la maltraitance qu’avait subie sa mère dans sa vie de couple. Dans certains milieux, les hommes les traitent de femmes têtues ? Peu leur importe, et ces femmes indépendantes deviennent de plus en plus nombreuses dans la société.

Par Mustapha Mulonda

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