Dans son premier roman, Taxi, le producteur, réalisateur et journaliste égyptien Khaled Al Khamissi compile une série de chroniques où les chauffeurs de taxis s’expriment. Un portrait du pays se dresse : pauvreté, corruption, cynisme et désespoir.
Le Caire est une ville tentaculaire qui ne dort jamais. Dans ses rues, les taxis circulent jour et nuit. Ils se faufilent dans les labyrinthes surpeuplés du Caire et essaient de tracer leur chemin cahin-caha. Ces voitures noires et blanches sont une métaphore sur roues de cette ville : peu sont en bon état, ils roulent pour la plupart «si Dieu le veut.»
Les chauffeurs de Taxi – ainsi que la plupart de la population – s’en remettent souvent à Dieu pour supporter les injustices quotidiennes. Mais il n’est plus question de foi ou de croyance, la religion n’est plus qu’un baume sur la douleur des cairotes. Les chauffeurs de taxis vivent quotidiennement des abus : un chauffeur furieux raconte au narrateur comment il doit soudoyer un policier pour ne pas se faire retirer ses papiers. Un autre explique : «personne en Egypte ne peut s’en sortir avec son salaire uniquement. […] Soit on vole, soit on touche des pots-de-vin, soit on travaille jour et nuit.»
L’agressivité dans la conduite ou la colère exprimée vis-à-vis des gens n’est qu’un faible reflet de la frustration grandissante d’une partie de la population. Les chauffeurs de Taxi sont les témoins exemplaires d’une population consciente de se faire avoir par un gouvernement corrompu et par un capitalisme sauvage. Un des chauffeurs raconte au narrateur une anecdote savoureuse et triste à la fois. Une femme voilée prend un taxi à Shubra, un quartier très populaire du Caire, pour se diriger vers Dokki, un quartier plus bourgeois. En route, la femme se dévêtit pour arborer une mini-jupe, des collants et un joli haut moulant. Devant l’ébahissement du chauffeur, elle explique que, malgré ses valeurs plus conservatrices, c’est ainsi qu’elle doit s’habiller pour avoir de bons pourboires au restaurant où elle travaille.
La traduction de Hussein Emara et Moïna Fauchier Delavigne est fidèle. Elle illustre bien les traits d’humour égyptiens, humour qui permet à la plupart de ces chauffeurs de survivre. Et la plume de Khaled Al Khamissi sert bien le propos : une population dans le besoin, une corruption insidieuse et un désespoir cynique ambiant. À lire aussi pour se sentir dans l’ambiance du Caire.
Le site de l’auteur : https://www.khaledalkhamissi.com/