Ténèbres à midi de Théo Ananissoh

Publié dans la collection Continents Noirs de Gallimard, le dernier roman du Togolais Théo Ananissoh dépeint l’Afrique dans ce qu’elle a de détestable. Passionnant et captivant, Ténèbres à midi plonge le lecteur et l’immigré devant le dilemme suprême, celui du retour utile.

Un écrivain allemand revient dans son pays d’origine avec la tentation d’y rester définitivement. Nadine, expatriée mais plus intégrée que jamais l’y incite. Pour se persuader et se convaincre dans cette démarche, il rencontre un jeune écrivain installé au pays depuis quelques années qui gravite dans l’antichambre du pouvoir. Eric Bamezon, cet écrivain est devenu conseiller spécial de Bestia, le président de ce pays imaginaire qu’on devine être le Togo.

« je suis parti de chez moi depuis vingt-deux ans. Je n’y ai jamais eu à mener les luttes et les intrigues de l’âge adulte pour s’assurer une place au milieu des autres. Un pays où l’on est né mais où l’on ne gagne pas sa vie est plus imaginaire que réel.

Je rentre avec en tête les réalités d’autrefois. Tout ce que je découvre me désole au nom de ce que j’ai connu. Malgré moi, les parents et les connaissances sont ceux que j’ai laissés deux dizaines d’années plus tôt, c’est-à-dire jeunes ou dans la force de l’âge.

Les rues de notre quartier sont celles où nous jouions au foot et que j’empruntais pour aller à l’école. J’ai besoin de voir quelqu’un comme Eric Bamezon, de m’entretenir avec un homme né après la colonisation comme moi, qui mène une existence d’adulte dans ce pays, qui y agit. »

Extrait de Ténèbres à midi de Théo Ananissoh

Théo Ananissoh ne s’attaque pas seulement à la vie de ceux qui débarquent de l’étranger et donnent des leçons aux autres qui sont restés. L’auteur prend aussi en grippe le système. La politique à l’africaine, il la ringardise. Il déplore les accointances faciles entre les chefs traditionnels (intello devenu réac’) et les dictateurs, monarques d’aujourd’hui.

Dans ce système, plus qu’ailleurs, les hommes politiques tuent psychologiquement et physiquement. On est avec eux ou contre eux. Et si vous avez le malheur d’être contre eux, vous devrez en payer les conséquences. Votre femme deviendra la pute d’un cacique du régime. « Ma femme intéresse ce type là parce qu’il la trouve à son goût, mais aussi parce qu’elle est son épouse justement. Cela n’est pas un point négligeable du tout. » Confession d’une victime du système, sans doute pas assez préparée au retour dans son pays.

Les occidentaux aussi en prennent pour leur grade. Nadine la libraire, amie des amis, y est décrite comme un produit qu’on peut se partager à guise : « si elle le veut, n’hésite pas. Moi c’est fini » glisse à l’oreille du narrateur, Eric Bamezon.

Véritable démonstration de ce qu’est devenu une partie de l’Afrique, ce roman de Théo Ananissoh est d’une lucidité à couper le souffle. Les optimistes pesteront toutefois malgré les faits. Sans concession et sans fioriture, Ténèbres à midi rappelle enfin qu’une fois parti, on est jamais plus chez soi ailleurs, surtout dans la maison de ses parents.

À voir : L’auteur Théo Ananissoh lisant son roman sur TV5 Monde


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