Marlène Rabaud et Arnaud Zajtman ne savent toujours pas si leur film sera présenté au Congo. Pire, une partie des subventions promises n’arrivera peut-être jamais. Touki Montréal a rencontré les deux réalisateurs au dernier Festival PanAfrica de Montréal (15 au 25 avril 2010). Retour sur la rencontre et sur leur documentaire Kafka au Congo.
Au coeur de l’imbroglio, la peur et l’inquiétude de certains producteurs belges de blesser, voir « frustrer » les élites politiques Belges et/ou Congolaises à la veille du cinquantenaire de l’indépendance du Congo. En juillet prochain, Albert II, le roi des Belges sera au Congo dans le cadre de cette commémoration. Et le documentaire Kafka au Congo (un clin d’oeil à la fois à Kafka et à Tintin au Congo) des deux cinéastes belges « dérange ». D’autant que les relations entre le Congo et l’ancien pays colonial, par le passé tumultueuses, commencent seulement à s’améliorer. Pas question donc d’envenimer les choses. Serait-ce la même chose si les deux cinéastes qui ont vécu dix ans au Congo étaient congolais ? Probable, mais ils n’en savent rien.
Dans ce documentaire, le système politique et judiciaire congolais est filmé tel quel, avec ses complicités et ses «paradoxes». À l’Assemblée nationale, le président et son questeur/trésorier sont battus à la régulière (aux urnes) par d’autres politiciens probablement encore plus « corrompus ». C’est ainsi que les cinéastes filment Modeste Bahati Lukwebo, questeur, distribuant des francs congolais dans son fief, ou autorisant des milliers de dépenses en dollars américains dans ses bureaux.
Accusé par les médias d’avoir soutiré 1500000 $, Bahati Lukwebo parait comme un enfant de coeur devant un député nouvellement élu, Evariste Boshab. Ce dernier sera accusé d’avoir mis la main dans la caisse. Une plus grosse caisse. Plus de 30 millions de dollars. Dans les rues, les jeunes disent ouvertement ce qu’ils pensent. La presse congolaise n’a pas peur de pointer du doigt les corrompus.
Pendant ce temps, une Congolaise se bat depuis des années en justice. Plus de 15 ans. Des années kafkaïenne pour chasser des familles installées sur son terrain sans son autorisation. Dans le film, on la voit passer successivement devant trois séries de juges différents. À chaque étape, il faut recommencer à zéro, quand il ne faut pas payer pour que le tribunal se déplace. Elle se bat seule, sans avocat, dans un système en apparence juste, mais corrompu dans tous les sens.
Pour Marlène Rabaud et Arnaud Zajtman, le problème au Congo est ailleurs. Toutes les institutions politiques sont conformes aux volontés des bâilleurs de fonds et des coopérations étrangères. Sauf que dans les faits, « il ne s’agit que d’un décor » insiste Arnaud Zajtman.
L’idée de ce documentaire qui laisse toute la place aux personnages (Pas de voix off, pas de voix des cinéastes), était de décrire le Congo de tous les jours dans «une unité de temps » bien clair, précise Marlène Rabaud. D’un côté, cette pauvre dame qui tous les jours depuis des années se bat pour protéger sa propriété. De l’autre, un individu dans un système, questeur à l’assemblée, battu par une équipe moralement réconfortée (entendu corrompue).
Pour les deux cinéastes qui s’installent au Sénégal, le Congo est en fait, «la quintessence des problèmes» qui minent le continent africain. Comme aime à le rappeler Arnaud Zajtman, « Frantz Fannon disait que si l’Afrique était un revolver, le Congo serait surement la gâchette.»