Les Négriers du foot de Maryse Éwanjé-Épée

Après les enfants rois, les enfants soldats et les enfants esclaves, le monde du sport, pas toujours créatif a décidé d’innover avec une nouvelle expression : les enfants foot.  Des enfants d’Afrique (surtout) et d’ailleurs, brocardés sur l’autel du sport par quelques délinquants du ballon rond : les Négriers du foot.

L’histoire de ce Camerounais aurait pu tourner au vinaigre comme une panenka osée mais ratée à la dernière minute d’un match ou d’un tâcle assassin à la veille d’une coupe du monde. Mais pour ce gardien, le dieu du foot a été clément. Pas plus haut comme trois pommes (peut-être 4 ou 5), ce jeune gardien décide de suivre dans un pays loufoque de l’Est, un pseudo entraineur qui n’a de compétence et de diplôme que la couleur de sa peau et le verbe de Molière, son compatriote.

« Ne te laisse pas lécher par qui peut t’avaler »

Une fois en Armenie, après moultes péripéties, ils devient LE gardien numéro 1 de son club et deviendra le gardien de la sélection arménienne. Un beau jour, alors qu’il est devenu le gardien du mythique club de la capitale française, le PSG, le pseudo entraineur revient à la charge et lui demande près de 30000 euros. L’affaire se médiatise et Edel Apoula/Béyamena Ambroise se retrouve sous les feux des projecteurs. Il y a quelques semaines, la FIFA a d’ailleurs statué sur son cas, il ne pourra plus jouer pour le Cameroun puisque Arménien.

Cette histoire reprise et appuyée de plusieurs analyses et recherches par Maryse Éwanjé-Épée plonge tout de suite le lecteur dans le monde du foot. Pas celui des terrains, des victoires et des trophées, mais l’autre monde du ballon rond. Celui qu’on ne voit pas. Le monde des agents sans scrupules qui font partir du Cameroun ou de Côte d’Ivoire, des milliers de jeunes en quête d’espoir.

Comme Apoula, Boya, Diawara, Mbola ou Lombé, ils sont nombreux ces enfants d’Afrique prêt à signer n’importe quoi à n’importe quel prix pour quitter leur pays et surtout leur continent. Ils seront très peu à devenir un Samuel Eto’o, un Abedi Pélé ou un Michael Essien mais qu’importe, pour ces jeunes garçons, le jeu en vaut la chandelle. Et lorsque l’espoir d’un meilleur monde est votre entraîneur (blanc si possible comme Nicolas Philibert), une tante qui vit en Occident ou un ancien joueur devenu recruteur, la tentation est grande.

« Le serpent oublie qu’il a mordu la poule mais la poule n’oublie jamais »

La progression du football en Afrique depuis l’arrêt Bosman, le quart de finale des Lions indomptables en 1990 et des Lions de la Teranga en 2002 et l’émergence des stars africaines qui font le bonheur de Chelsea, Barcelone et Arsenal de ce monde n’a pas eu que du bon. Elle a permise à des truands de se trouver une nouveau marché. Les règles sont simples : trafic d’identité, chantage, ruines familiales, disparitions. Même le football féminin n’est pas épargné. Maryse Éwanjé-Épée, dans une démonstration qui ne lésine pas sur les détails, explique par exemple comment quatre jeunes maliennes se sont retrouvées dans le pétrin après avoir fait les beaux jours du RC Saint-Étienne.

Paru aux Éditions du Rocher, Négriers du foot résume et décrit à la fois les problèmes, les acteurs mais aussi quelques pistes de solutions des maux qui gangrènent le football moderne. Les exemples d’association comme Foot Solidaire ou Manifootball, les agents sérieux qui ne veulent que travailler dans les meilleurs conditions possibles comme Pascal Sébayhi, les formateurs comme Jean-Marc Guillou ne sont que des oasis dans un désert de mafia sportive et peut-être que la solution, comme souvent, devrait venir de l’État.

On regrettera toute fois la place et l’importance de l’affaire Apoula qui occulte un peu les quatre derniers chapitres du livre qui plonge définitevement le lecteur au coeur du problème.

Mais il n’est pas seulement question de sport et de magouille dans ce livre. La franco camerounaise Maryse Ewanjé-Épée, athlète reconvertie en consultante et journaliste sportive sait aussi écrire. Le lecteur appréciera une plume métissée tantôt diluée à l’encre de son Poitiers natal, tantôt composée avec ses origines africaines. Un proverbe africain accompagne chacun des 16 chapitres du livre et la journaliste n’hésite jamais à faire revivre à ses lecteurs l’ambiance d’un maquis ivoirien.

« Quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre »

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