J’ai retrouvé Kinshasa 15 ans après l’avoir quitté. Ma première nuit, je la passe dans le noir. Les lampes halogènes chinoises prévues pour me dépanner en cas de défaillance de la Société nationale d’électricité, ne me sont d’aucun secours…
(Syfia Grands Lacs/Rd Congo)
«C’est vrai, tu rentres au pays ? ». C’est un aîné, à qui j’annonçais la nouvelle de mon prochain séjour au pays qui s’étonnait ainsi. Il venait de rentrer en Belgique après un séjour de deux mois en Rd Congo. On est le 22 octobre. Il avait du mal à cacher l’anxiété qui se lisait sur son visage. « Tu rentres pour de bon ou pour un séjour temporaire ? ». Je rentre pour un à deux mois. « Sois prudent dans tout ce que tu auras à faire et surtout à dire… » Devant mon regard interrogateur, il change de sujet. « Deux choses m’ont impressionné à Kinshasa, dit-il : d’abord la foule, dense, toujours en mouvement. Car les gens doivent trouver leur pitance quotidienne dans un environnement devenu impitoyable pour les pauvres… » Aussi, poursuit-il, « le nombre scandaleux de limousines et de jeeps de toutes marques. Un luxe insolent dans un océan de misère ambiante. Cela fait peine à voir… »
Kinshasa a complètement changé de visage. Ce n’est plus Kin-la-belle d’il y a 15 ans, au moment où je m’envolais pour l’Europe. J’étais prévenu. Une chance, cette rencontre avec un aîné que je connais depuis l’époque où, jeunes diplômés en journalisme, nous combattions avec fougue la dictature mobutiste. Depuis, les époques ont changé. Mobutu a été chassé du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila et son Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, lui-même assassiné en janvier 2001. La Rd Congo a désormais son « raïs », Joseph Kabila Kabange, le fils.
Ambiance cocasse à Ndjili
Samedi 25 octobre, aéroport de Zaventem à Bruxelles. Décollage à 11 h 15.Dans l’avion, des Congolais habitués du pays parlaient de Kinshasa, des nouveautés architecturales qui font désormais la fierté de la ville : la Place du 30 juin à la Gare centrale et celle du cinquantenaire, l’agrandissement et la modernisation des boulevards Triomphal et du 30 juin, etc. « Kabila akweyisi poto na Kinshasa (Kabila a transformé Kinshasa en Europe, Ndlr) », clament certains Kinois euphoriques. A voir !
19h30’. L’airbus 320 de Brussels Airlines amorce la manœuvre d’atterrissage. L’œil collé au hublot, la plupart des passagers, congolais comme étrangers, scrutent l’extérieur. L’ambiance n’est pas celle d’autres aéroports. Dans la pénombre, on distingue des hommes en uniformes bleu marine de la police, vert tacheté de l’armée, jaune, rouge… au bas de la passerelle et un peu partout sur le tarmac. Un minibus fait la navette entre l’avion et le salon d’arrivée. On s’entasse comme on peut dans une chaleur suffocante.
Dans le salon d’arrivée, l’ambiance est cocasse : le contrôle des papiers se fait dans une sorte d’anarchie qu’on ne voit nulle part ailleurs en raison d’une multitude de services. La récupération des bagages, un autre parcours de combattant. Sur un rouleau d’un autre âge, une foule de gens s’agglutine qui n’ont rien à y faire. Tout ce monde propose ses services moyennant rémunération. « N’aie pas peur, tout ira pour le mieux. On te sortira tes bagages », me répètent inlassablement deux bagagistes. Il m’a fallu me délester de 80 $ et attendre plus d’une heure pour les récupérer. « Nous devons une part au colonel et au capitaine… », ne cessaient-ils de me rappeler.
Des quartiers « bombardés »
Les formalités terminées, sur le chemin qui mène à la ville, l’obscurité est à couper au couteau. Le boulevard Lumumba jadis éclairé n’est plus qu’un sombre tunnel. « Depuis quelques années, c’est cela le nouveau Kinshasa, celui du délestage. Dans notre quartier nous n’avons plus eu le courant depuis 6 mois », susurre ma sœur venue m’accueillir avec mon grand-frère. Ma première nuit, je la passe dans le noir.
Les lampes halogènes chinoises prévues pour me dépanner en cas de défaillance de la Société nationale d’électricité, ne me sont d’aucun secours. Car, paradoxe de la situation, il faut d’abord les recharger… « Tu finiras par t’habituer. Nous avons aussi eu du mal au début de ce phénomène. Je suis née Kinshasa, mais je n’ai jamais vécu ça », m’encourage en permanence ma bailleresse.
Les rues sont dans un tel état qu’on croirait que certains quartiers de Kinshasa ont subi des semaines de bombardement. « Tu as remarqué une chose qu’on ne connaissait pas non plus : les immondices et la crasse partout. C’est invivable », gémit la bailleresse. D’un ton optimiste, elle essaie de me rassurer : «Le Chef de l’Etat est décidé à arranger tout ça. Mais ses collaborateurs ne l’aident pas. Ils s’occupent plus à s’en mettre plein les poches…, à ce que l’on nous dit.»
Pays de paradoxes
La visite de l’ancienne Place de la gare devenue la Place du 30 juin, tant vantée par certains Kinois m’a laissé dubitatif. Rien qui justifie le flot d’éloges entendus, sinon juste une certaine amélioration urbanistique. A leur finition, les boulevards Triomphal et du 30 juin seront, on l’espère, des œuvres architecturales d’envergure. Avec, malheureusement, les arbres qui faisaient le charme du célèbre boulevard du 30 juin en moins !
En attendant mieux, le flot de limousines et de jeeps continue de sillonner les rues retapées et défoncées de Kinshasa, narguant les marées humaines désemparées à la recherche d’un moyen de transport hypothétique. «C’est un pays de paradoxes, me répète un ami. Une minorité se tape une fortune en un temps record, roule carrosse alors que l’écrasante majorité ploie dans une misère sans nom.» A quoi je lui rétorque que c’est un problème de culture, de mentalités. Comment, en effet, peut-on célébrer des richesses dans un champ de ruines et de misère ? «Pourtant l’hymne national dit que [nous peuplerons ton sol et nous assurerons ta grandeur]» me rappelle l’ami. «Nous avons peuplé le sol, c’est vrai, mais la grandeur, nous l’avons ensevelie…»