Pendant le Festival international de la BD d’Angoulême, Touki Montréal s’est entretenu avec Christophe Edimo, le Président de l’association l’Afrique. Au menu, place de la femme africaine dans l’univers de la BD, immigration etc.
Les journaux français ont beaucoup parlé de la BD africaine et de la place faite au sujet de l’immigration à l’occasion du festival. Pourtant, vous êtes très peu nombreux. Est-ce que tu penses que c’est approprié ?
Ce qui intéressant pour un lecteur de BD quel qu’il soit, c’est le processus d’identification. Le problème pour un dessinateur, notamment africain, c’est de faire passer un message qui le préoccupe.
Il se trouve que depuis quelques années commence à émerger la pointe de l’iceberg avec par exemple Margueritte Abouet, la scénariste du succès commercial Aya. Les journalistes se sont aperçus qu’il y en avait d’autres derrières, avec des messages différents. C’est déjà bien qu’ils en parlent.
Pour l’instant et parce que ces auteurs sont issus d’un continent en souffrance, il est normal qu’ils parlent de l’Afrique, de l’immigration. Le plus important c’est d’être considéré comme un artiste à part entière.
Il me semble que les artistes n’ont pas de nationalité, ils sont à l’avant-garde de la société. Comme le disait Édouard Glissant, un écrivain martiniquais, on est en train de vivre la créolisation de la planète [NDRL : pour simplifier : le métissage des cultures entraîné par la mondialisation].
Actuellement, la France est dans une phase où elle déçoit tout le monde. J’ai de la famille au Cameroun et quand je viens on me pose des questions. « Qu’est-ce qui se passe, il est à peine président qu’il change d’épouse? » Ce n’est pas bon signe et ça va de mal en pi. Les gens ne comprennent pas que la France soit dirigée par un homme très émotif qui n’incarne pas sa fonction.
Dans l’inconscient, c’est le père. Le fait qu’il provoque un marin pour se bagarrer, qu’il pique un stylo au président roumain, qu’il s’agite dans tous les sens, en Afrique c’est mal perçu. Mais ça aide à faire prendre conscience aux Africains que la France n’est pas un paradis.
Tu évoquais le cas de Margueritte Abouet à l’instant. Elle parle beaucoup de la place de la femme dans la série Aya de Yopougon. Est-ce un cas isolé?
Il y a très peu de dessinatrices africaines. Il y avait une Congolaise que je ne nommerais pas, parce que je ne voudrais pas lui faire quelques peines. Elle dessinait très bien. Les hasards de la vie ont fait qu’elle s’est retrouvée en France. Elle a continué, avec des publications internationales, surtout en Italie. Sa carrière démarrait bien. Mais elle s’est mariée à un Congolais.
Je ne veux pas être réducteur, mais son mari a mal vu le fait qu’elle soit invitée à droite à gauche dans des festivals. Il l’a obligée à arrêter sa carrière. C’est dommage, parce qu’il y a pas mal de jeunes filles africaines que j’ai pues rencontrer au Mali et au Cameroun, qui ont vu cette référence être stoppée par un mari qui ne comprend rien à la vie d’artiste, une vie d’ouverture.
Les femmes africaines ont encore des combats à mener pour s’émanciper. Ce qu’elles font déjà dans certains domaines au Mali, au Cameroun, au Bénin où des secteurs économiques et financiers sont accaparés par les femmes. C’est une avancée. Mais dans la représentation de certains africains, la femme est inféodée à l’homme. Je pense que c’est une catastrophe.
Les femmes devraient pouvoir exprimer plus largement leur point de vue. Ça peut changer à partir du moment où les femmes se mettent à écrire, à faire des films, à dessiner…
Il n’y en a pas assez. Les choses bougent en Afrique peut-être même de façon un peu souterraine. Certains hommes vont se réveiller un jour et s’apercevoir que leur représentation est fausse, trop négative.
Les projets de Christophe Edimo :
« Avec le dessinateur Simon Pierre Mbumbo (Malamine, un Africain à Paris), on travaille sur l’affaire Elf par un biais particulier. Un jeune Européen est manipulé par une Africaine qui l’a adopté après que ses parents aient été assassinés en Afrique. Il doit venger tout le pays de l’exploitation du pétrole.
Avec des personnages jeunes, adolescents, on vise un processus d’identification. C’est un Européen qui est porteur d’une culture africaine. Il est aussi manipulé, tout ce qui vient d’Afrique n’est pas forcément bon et comique, non. Il y a des forces brutales aussi.
Je dois signer ses jours-ci un projet avec Nathalie Meulemans, des éditions Les enfants rouges. C’est un projet avec le dessinateur Fati Kabuika, du Congo-Kinshasa sur la position des noirs colombiens qui est plus difficile que celle du noir en Europe.
Je travaille aussi sur les concepts universels : liberté, égalité, fraternité. Bozena Augustyn apporte le personnage d’une gymnaste des Carpates, près de l’Ukraine. Elle s’imagine que la terre de la liberté c’est la France et qu’elle doit aller constater sur place pour trouver d’où cette idée est venue. »
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