Pendant ses études en audiovisuel à Ouagadougou, la réalisatrice a été frappée par le fait que la plupart des documentaires sur l’Afrique étaient faits par des Blancs. Une fois ses études terminées, elle a décidé d’aller en France, voir ce pays merveilleux dont beaucoup rêvent au pays.
« Ce premier voyage a été un choc. J’ai vu que les immigrés africains vivaient dans une précarité totale. J’ai donc décidé de faire ce documentaire pour casser le mythe occidental », explique la réalisatrice, qui domine de sa haute taille les journalistes, le visage jeune, ouvert, et déterminé.
Si quelque chose peut détourner les nombreux jeunes Africains qui aspirent à quitter leur pays en quête du « tout emploi » et de l’argent facile, c’est ce documentaire d’Éléonore Yaméogo. Il montre la galère d’un Sénégalais, et de Bintou, une jeune Burkinabé, arrivés en France sans papier, et des gens qu’ils croisent.
Les nuits dehors. La peur de la police. Les propositions malsaines. Le choc culturel. Et des images d’une violence inouïe de CRS virant des familles maliennes qui occupaient une place pour réclamer des papiers (images Mediapart).
Le film est d’ailleurs diffusé en France sans ces images, très choquantes pour les Français comme pour les Africains de l’assistance. Exigence du producteur. « Je comprends aussi, souligne la réalisatrice. Si des familles venaient occuper la place de la Nation, ici, à Ouagadougou, c’est sûr que le gouvernement ferait quelque chose. »
La honte du retour
Dans ces conditions, les émigrés se demandent pourquoi ils sont partis. « Chez moi, j’avais un toit et à manger tous les jours! Jamais je n’ai vécu ça », explique Shabat, face à la caméra. Ils n’ont qu’une seule envie : rentrer au pays.
Dans la salle, les réactions des Burkinabés et des autres spectateurs Africains étaient particulièrement vives, sans doute parce qu’ils découvrent le sort de leurs compatriotes, tandis que la plupart des Occidentaux festivaliers (donc intéressés par l’Afrique) le connaissent déjà. « Mais non, reviens, on va t’accueillir! », lance un jeune homme à une jeune fille du documentaire qui dit « Je ne peux pas rentrer, non, je suis déjà allée trop loin et ce serait la honte, pour ma famille et pour moi » alors qu’elle a été exploitée sexuellement par un Marocain en échange d’un logement, et jetée à la rue par sa propre sœur.
« Cette honte, c’est une réalité. Je ne sais pas quand elle prendra fin. J’aimerais faire comprendre ce que vivent ceux qui sont partis », souligne Éléonore Yaméogo. « Pour eux, les choses se compliquent de plus en plus, mais l’information ne parvient pas au pays. C’est de plus en plus dur. »
Paris, mon paradis est né après trois ans de gestation. Il a été tourné dans des conditions assez difficiles « parce que dans les quartiers où vivent les Africains, il y a beaucoup de petits deals et les gens m’ont parfois retiré ma caméra. Il m’a fallu négocier pour la récupérer, expliquer ce que je faisais ». Cependant, il n’a pas été trop dur de convaincre les personnes interrogées par la réalisatrice africaine de témoigner à visage découvert. « Ils ont bien compris ma logique », souligne-t-elle.
Le film est d’ores et déjà diffusé en France, mais sera-t-il vu en Afrique, en dehors du Fespaco? « Oui, je suis en train de négocier pour le faire diffuser dans des cinémas mobiles, ici et dans la sous-région. Ce film, je l’ai fait pour les jeunes Africains », précise Éléonore Yaméogo.
En tout cas, jeudi au Fespaco, ce film a fait réagir. Il a été fait par une Africaine. Ce sont des images, plus que de simples témoignages de gens qui sont partis. Elles marqueront ceux qui les verront. « Je ne dis pas qu’il ne faut pas partir, non, précise Éléonore Yaméogo, mais je dis qu’il faut très très bien préparer son voyage, et savoir à quoi s’attendre. »
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