Le prêt bourse d’études a, pour cette année académique qui commence au Rwanda, été supprimé à de très nombreux étudiants. Faute d’argent, beaucoup d’entre eux ont du mal à manger correctement ou sont contraints de chercher un travail. Ce qui les empêche souvent d’aller aux cours. D’autres ont déjà renoncé à leurs études.
(Syfia Grands Lacs/Rwanda)
« Il y a trois jours, un étudiant s’est évanoui. Nous l’avons amené à l’hôpital où le médecin nous a confirmé qu’il n’était pas malade. Simplement, il venait de passer trois jours sans rien manger ! », livre, désolé, Gaspard Karinganire, le commissaire des Affaires sociales à l’Université nationale du Rwanda (UNR). Peu de temps avant, un étudiant de l’Institut pédagogique de Kigali s’était suicidé quand le gouvernement avait annoncé, pour cette année, la suppression du prêt bourse de 25 000 Frw (50 $) par mois à environ 70 % des boursiers. Cela, dit le ministre de l’Éducation, « pour accoutumer les étudiants à se prendre en charge ».
L’Office rwandais du prêt bourse a décidé de n’octroyer cette somme qu’aux classes dites « vulnérables ». Les Rwandais sont classés en riches, moyens, pauvres moyens, pauvres, vulnérables, etc. Cet étudiant de troisième année classé dans la catégorie des pauvres n’a pas eu de bourse…et comme beaucoup, il n’arrive plus à s’en sortir.
Ventre affamé…
« Quand je les regarde en classe, je me rends compte qu’ils sont pour la plupart démotivés, confie d’un air inquiet un professeur de l’université. Mais, je peux comprendre : il y a quelques jours, j’ai vu trois filles partager une même assiette. J’ai vraiment été effrayé ! » Selon lui, les notes ne seront pas bonnes cette année. « Comment voulez vous qu’elles le soient s’il y a des étudiants qui, en attendant le professeur qui revient l’après-midi, restent en classe à dormir sur les écritoires, lorsque les autres vont déjeuner ! », s’exclame Karinganire. Depuis le 10 janvier, date du démarrage des cours, il a reçu 50 demandes d’assistance et a aidé 23 étudiants.
Manger est devenu difficile pour nombre d’entre eux. Plutôt que d’aller au restaurant de l’université qui leur coûte entre 18 000 et 24 000 Frw (entre 35 et 45 $) par mois, certains préfèrent préparer eux-mêmes leur nourriture. Fidèle Niyompano, qui loge à quatre kilomètres de l’université, vit avec trois condisciples dans une petite chambre qu’ils louent à 25 000 Frw.
Elle leur sert de chambre à coucher et de salle d’étude à domicile. Derrière un petit rideau, leur maigre stock de nourriture : 2 kg de riz, 3 kg de haricots, du sel et un peu de légumes fanés… « Nous cotisons 10 000 Frw (25 $) par mois, mais seulement deux d’entre nous ont pu trouver cet argent. Souvent, nous ne mangeons qu’une fois par jour, pour essayer d’arriver au bout du mois avec un peu de nourriture ».
Parmi les camarades de Fidèle, Albert, jeune finaliste en droit, va devoir sacrifier son héritage pour continuer ses études : « A sa mort, mon père m’a légué un champ qui pourra me procurer 60 000 Frw (100 $). Je le vendrai avant de mourir de faim ! ». Il s’était d’abord abonné au restaurant de la ville à 300 Frw (0,5 $) par repas. Pas cher, mais un repas qui laisse sur sa faim. « Dans ces restaurants, nous mangeons sur des assiettes que nous appelons « CD », parce qu’elles sont assez plates et ont la taille d’une sous-tasse », commente Laurent Mukiza en deuxième année de droit. « Leur viande, qu’ils donnent une fois par semaine, nous l’appelons ‘carte sim’. Quand tu manges, tu la vois difficilement à l’œil nu ! », ajoute-t-il en plaisantant.
Travailler plus, étudier moins
Tous cherchent donc du travail. « À l’appel d’offres d’emploi de l’association des étudiants qui cherchait trois serveurs pour un bistrot, nous étions 180 candidats… », livre un étudiant. Pourtant, le salaire mensuel proposé est de 15 000 Frw (30 $) pour un travail quotidien entre 17h30 et 24 h… Selon un de ses membres, l’association négocie actuellement avec certains entrepreneurs pour trouver des emplois.
D’autres étudiants sont présents dans l’enseignement. « J’en ai un qui donne les cours du soir à mes enfants de primaire », livre un professeur de l’université. « Une organisation a signé avec certains étudiants un contrat de service d’enseignement à temps plein pour six mois. Que deviendront ensuite leurs cours d’université ? », s’interroge-t-il, alors que depuis le début de cette année, il n’a pas plus de 60 % de présents à son cours. Tous ceux qui travaillent sont très irréguliers à l’université.
Certains ne trouvent pas de travail comme Théo Hatunguramye, inscrit en deuxième année économie, qui est rentré chez lui et travaille dans les champs des agriculteurs. Un peu d’argent pour venir chercher ses syllabus à Butaré à 100 km de là et passer, malgré tout, ses examens. Selon un étudiant de la faculté de l’agronomie, sur une classe de 85 inscrits, 28 sont déjà retournés à la maison. Ils essaient bien de se faire ajouter aux listes de boursiers, mais sans résultat pour l’instant.
Par Jean de la Croix Tabaro