Chris Abani, auteur nigérian plus que précoce, publie son premier roman à l’âge de seize ans. Après de nombreux déboires politiques qui le menèrent en prison à trois reprises, Chris Abani revient sur la scène littéraire avec notamment Graceland, récompensé par le Prix Pen Hemingway. En 2007, il publie aux États-Unis Comptine pour l’enfant-soldat ; traduit quatre ans plus tard chez Albin Michel.
Comptine pour l’enfant-soldat suit un jeune garçon de quinze ans prénommé My Luck à la recherche de son peloton après l’explosion d’une mine anti-personnelle. Enfermé dans un mutisme forcé, l’adolescent partage ses pensées et ses souvenirs au rythme de son avancée vers son village d’origine.
Jonglant entre regrets sincères, confessions embarrassées et questionnements existentiels, My Luck traverse villes et jungles ensanglantés au son de sa propre voix intérieure relatant son histoire : le commencement de la guerre, son enrôlement au sein de l’équipe des démineurs, la mort violente de ses parents, etc.
À travers un récit délibérément court découpé en petits chapitres, Chris Abani adopte un ton poétique et allie ainsi réalité et lyrisme pour retranscrire la souffrance visible et palpable d’un pays et d’un peuple entier, détruits par la violence et la haine humaines.
Les actes atroces et innommables perpétrés par les uns et les autres s’enchainent dans l’esprit de My Luck, se gravant en lui éternellement et le privant du repos salvateur et miséricordieux.
Quelques moments de grâce jaillissent parfois de ces moments insoutenables insufflant au récit la légèreté et le courage nécessaires pour poursuivre la lecture. Ces quelques instants permettent aussi de reposer la question de la nature humaine, condamnée plus tôt par ses propres atrocités et introduisant ainsi l’infime notion d’espoir.
«Elle devint ma petite amie et cette nuit-là comme toutes les nuits qui suivirent, chaque fois qu’on attaquait une ville ou un village, tandis que les autres violaient les femmes et parfois les hommes, Ijeoma et moi faisions désespérément l’amour, nous pleurions en jouissant, mais on faisait cela pour être sûr que parmi toute cette horreur il y avait encore de l’amour. Que l’amour ne mourrait pas ici, à cet endroit»
De nombreux romans et nouvelles ont abordé les thèmes de l’enfer des enfants-soldats ou encore, des guerres ethniques ou civiles essuyées par les pays de l’Afrique de l’Ouest. Chris Abani ne renouvelle hélas pas le genre avec Comptine pour l’enfant-soldat.
Malgré des descriptions réussies, la lecture bien que courte reste assez laborieuse avec un style parfois lourd et maladroit. Le point fort réside toutefois dans l’habile construction de personnages atypiques et l’incorporation d’une dimension mystique intéressante avec les légendes nigérianes.