Pour arrêter l’usage abusif d’antibiotiques et de médicaments psychotropes qui peuvent avoir des conséquences désastreuses sur l’organisme humain, le ministère congolais de la Santé a décidé que, désormais, ils ne seraient vendus en pharmacie que sur prescription médicale. La mesure est cependant difficile à appliquer sur le terrain.
« Lorsque j’ai des douleurs au bas-ventre, je ne perds pas mon temps à aller consulter un médecin ce qui me coûte de l’argent en plus. Je me rends dans une pharmacie pour acheter des plaquettes d’ampicilline. Et le tour est joué. » Comme de nombreux habitants de Kinshasa, Henriette K. a l’habitude de recourir à l’automédication pour se faire soigner. Mais depuis le 1er mai 2011, il n’est plus permis d’acheter librement des antibiotiques et des psychotropes dans une pharmacie en Rd Congo. Le ministère congolais de la Santé a décidé que toute vente de ces médicaments doit être conditionnée par la présentation d’une ordonnance médicale.
Prise à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la santé, le 7 avril dernier, la décision du ministère entend « préserver la santé des gens et lutter contre l’automédication », une pratique très répandue dans le pays. Mais à Kinshasa, elle a du mal à produire des effets, les habitudes ayant la peau dure. Spécialiste au service des soins intensifs à l’hôpital général de Kinshasa (ex-Maman Yemo), Jean-Pierre Issessele témoigne à ce sujet que le nombre de malades qu’ils accueillent et soignent pour cause d’automédication ne fait qu’augmenter malgré la mesure gouvernementale. Entre avril et la mi-mai, un peu plus d’un mois après l’annonce de la décision, cet hôpital a enregistré 42 malades.
Laisser-aller général
Comme l’explique le Dr Sango Luhaga, spécialiste en santé publique, les psychotropes sont des médicaments qui agissent sur le système nerveux central et en tant que tels, leur administration doit être bien contrôlée. Il en est de même des antibiotiques. « Leur prise désordonnée crée la résistance et peut provoquer des conséquences incalculables dans l’organisme », prévient-il.
Dans les pharmacies de la capitale congolaise, dont un grand nombre est tenu par des personnes non qualifiées, la mesure gouvernementale semble être peu suivie.
Lorsqu’on réclame une ordonnance médicale aux clients, « ils nous tiennent toujours le même langage : qu’ils n’ont pas d’argent pour se faire examiner chez un médecin, et que dans tous les cas, ils connaissent quel médicament prendre quand on va mal… », explique un jeune vendeur dans une petite pharmacie à Limeté, avant tout préoccupé par la bonne marche de ses affaires.
Au quartier Kingabwa, M. avoue aussi vendre sans prescription médicale. Mais « je lis toujours à l’intention du client la notice qui accompagne le médicament », se dérobe-t-il. Ce qui fait bondir le Dr Luhaga. « Ce n’est pas admissible qu’on vende librement des comprimés de valium ou de diazépam, par exemple, à des jeunes qui les utilisent souvent comme drogue. Ce n’est pas une marchandise. » S’il reconnait que c’est au gouvernement qu’il revient d’assurer les soins de santé à moindre coût à la population, ce spécialiste en santé publique reste intransigeant. « Il faut que la population sache que la santé n’a pas de prix. Les gens doivent consentir des sacrifices et consulter un médecin avant d’aller dans une pharmacie. »
Purger le secteur des pharmacies
De l’avis l’Ordre des pharmaciens, la difficulté majeure réside dans le fait que leur métier est devenu un fourre-tout. « Mêmes des gens qui ont fait la commerciale ou la coupe et couture s’improvisent pharmaciens. C’est grave », se plaint Faustin Kabeya, président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP). Les services de l’Etat sont aussi pointés du doigt. « C’est eux qui accordent à tout le monde les autorisations d’ouverture des officines moyennant juste l’argent, sans se donner la peine de vérifier que tout est en ordre », dénonce Dr. Luhaga.
Pour sauver leur profession et accompagner la mesure du ministre, l’Ordre des pharmaciens entreprend une grande purge. « Nous procédons actuellement à l’identification des pharmacies à Kinshasa, affirme Lumbwe, secrétaire du conseil. Après cette étape, en accord avec l’Inspection provinciale de la santé, ne resteront opérationnelles que celles tenues par des pharmaciens attitrés ». L’objectif du CNOP est de garder un nombre restreint d’officines de qualité tenues par des pharmaciens respectueux du serment des Apothicaires (ou serment de Galien) qu’ils prêtent à l’issue de leur formation. Car, « le médicament est un poison et un couteau à double tranchant. Il soigne mais il peut aussi tuer », prévient l’Ordre des pharmaciens.
Par C. Kitenge