Kamel Daoud est connu en Algérie pour sa chronique incisive dans le Quotidien d’Oran. Auteur de plusieurs récits (La fable du nain, éd. Dar Le Gharb) et chroniques (Mac Arabe, éd. Dar Le Gharb) depuis 2003, le journaliste signe de nouveaux quatre nouvelles rassemblées sous le titre Le Minotaure 504 aux éditions Sabine Wespieser.
Plus de quarante ans après la fin de la colonisation de l’Algérie par la France, Kamel Daoud prend le pouls de son pays et ses constatations littéraires réalistes ne sont pas très gaies.
Il raconte sans ambages et sans périphrases l’après-décolonisation difficile, la désillusion après l’espoir d’une émancipation nationale définitive, liberté remplie de promesses qui aujourd’hui ne semblent pas avoir été tenues.
La nouvelle Gibrîl au kérosène – une des plus réussies – se fait porte-parole de ces thèmes avec un ton plein de lucidité et de désenchantement.
Le thème du traumatisme est aussi abordé : les séquelles y sont dévoilées avec pudeur. Séquelles encore actuelles d’un pays qui n’aura peut-être pas su voir au-delà de sa quête de délivrance.
Les écrits de l’essayiste Frantz Fanon, et plus particulièrement les Damnés de la terre, font d’ailleurs écho à cette absence d’anticipation : la révolution et la décolonisation ne sont en aucun cas ni un aboutissement, ni une fin mais bien un commencement, le début d’une nouvelle ère à bâtir.
Mais a-t-on vraiment le droit de blâmer un peuple et un pays de n’avoir pas pu prédire l’après, quand pendant des décennies on lui a quasi interdit de penser par lui-même, laissant cette tâche aux colonisateurs et à leur hégémonie dévastatrice?
Les personnages de Kamel Daoud sont pour la plupart d’anciens soldats qui se sont battus pour se réapproprier cette terre dont ils ont été privée.
« […] dans l’histoire de ce pays et de ce peuple qui jamais ne rêva des airs, mais seulement d’avoir une terre ou d’en posséder un morceau »
Hier, héros acclamés, aujourd’hui chauffeur de taxi ou encore simple ingénieur en aéronautique méprisés ou tout simplement ignorés. Paradoxe pour ce pays dont les plaies dues à la domination d’un pays de l’autre côté de la Méditerranée ne sont pas encore totalement cicatrisées.
« Nous avons été tellement écrasés que le jour où nous nous sommes levés notre échine est restée courbée »
Kamel Daoud signe quatre nouvelles efficaces avec un style presque corrosif de par ses propos véridiques, perspicaces au risque d’être déplaisants. Il rappelle ainsi à ceux qui l’ignoreraient peut-être que les colonisés porteront toujours en eux, une histoire meurtrie qui peine à se remettre sur ses deux pieds.