Tirant la leçon de la dernière législature, de nombreux candidats à la députation du Sud-Kivu ont carrément choisi des membres de leur famille proche comme suppléants afin de mieux s’assurer de leur docilité. La Constitution ne l’interdit pas, mais la société civile dénonce ces petits arrangements qui s’apparentent à un accaparement du pouvoir par des groupes restreints.
Grande a été la surprise de très nombreux habitants de Bukavu, massés, mi-septembre, devant les listes des candidats aux législatives. Dans les différentes circonscriptions du Sud-Kivu, les candidats ont en effet été très nombreux à avoir choisi pour suppléants un frère, une sœur, une fille ou un fils.
Et certains le justifient sans vergogne par les guéguerres interminables qui ont opposé les titulaires, élus en 2006, aux suppléants qui avaient été cooptés au sein des partis politiques ou parmi les hommes de science.
Durant cette législature, en effet, de nombreux députés nommés ministres, ambassadeurs, ou élus gouverneurs de province – fonctions politiques incompatibles avec l’exercice de leur mandat parlementaire – ont dû céder leur siège à leurs suppléants. Mais il a été impossible à ceux qui ont quitté ces fonctions, de reprendre leur place à l’Assemblée nationale. Les candidats d’aujourd’hui en ont tiré la leçon préférant choisir des proches.
« Une sorte de royauté »
Certaines organisations de la Société civile du Sud-Kivu dénoncent ces arrangements en famille. Pour Moreau Tubibu, du groupe Jérémie, il est inadmissible que ceux qui se disent hommes politiques mettent en avant des membres de leur famille : « J’interpelle les politiciens et leur demande d’être corrects avec eux-mêmes, avec leur base et avec leur pays. ». Selon lui, « c’est là une nouvelle manière de pérenniser leur richesse, de donner du travail aux leurs au détriment de la collectivité et d’embrigader des circonscriptions entières dans une sorte de royauté. »
Pablo Muke, de la Coalition congolaise pour la Justice transitionnelle (CCJT), y voit lui aussi un manque de respect envers les électeurs : « Si cela prend corps, on finira par transformer ce pays en empire. Il faut rapidement mettre fin à cette dérive et créer une véritable alternance avec tous les Congolais, sans exception. » « La grande partie de ces candidats est issue de la majorité présidentielle », accusent des membres de l’opposition. Defo Balibuno Linda, de l’Union pour la nation congolaise de Vital Kamerhe, appelle ainsi la population à sanctionner ce qu’il qualifie de « dérive totalitaire pour faire du pays une dynastie qui ne dit pas son nom. »
Une double assurance
Certains animateurs politiques estiment cependant ces choix judicieux. Ainsi, dans un message adressé à l’un de ces candidats, Jean-Marie Bulambo, son comité et les membres du quartier général de sa campagne électorale de 2006, écrivent : « Étant donné que la suppléance n’est plus un enjeu de taille comme dans le passé conformément à la loi en vigueur, et qu’il faut considérer dans cet état de choses l’importance, la confiance, la vision commune et l’esprit de communication qui doit exister entre le titulaire et ses suppléants, nous vous proposons la désignation de Mademoiselle Bulambo Maneno Isabelle et Bulambo Kyalondawa Junior Daniel comme 1er et 2e suppléants à la députation nationale en circonscription de Bukavu.
Autrement dit, la fille et le fils du candidat, actuel ministre des Petites et moyennes entreprises. Selon celui-ci, ils sont qualifiés, car ils ont fait de bonnes études en Europe et aux États-Unis, sont Congolais et de surcroit membres de son parti politique. « Comment pouvais-je départager les 76 personnes qui demandaient à devenir mes suppléants ? », interroge-t-il.
Il n’est pas le seul à avoir fait un tel choix. C’est le cas entre autres de Sylvanus Mushi Bonane, ministre honoraire de la Recherche scientifique et président de Bukavu Dawa, de deux responsables des deux grands clubs rivaux de football de la province, de Jean Pierre Mukubaganyi, député provincial et richissime homme d’affaires du Sud-Kivu et de Kyamusoke, ancien ministre. Dans la constitution congolaise et dans la Loi électorale, aucun article n’interdit cette pratique.
Pour éviter que les problèmes avec leurs suppléants se renouvellent, les députés, prudents, avaient pourtant déjà pris une autre garantie : « Ils se sont battus bec et ongles pour que la Constitution soit révisée et ils ont réussi. Le texte a été révisé à leur mesure, pour eux qui veulent tout embrasser » dénonce Hilaire Mwana, cadre dans une société de la place. L’article 110 révisé stipule que désormais le député national reprend son poste de plein droit quand il quitte la fonction incompatible avec son mandat. Le rôle du suppléant est donc d’emblée limité.
Par Baudry Aluma