Phénomène unique au Sahel, la régénération naturelle assistée (RNA), permet aujourd’hui de concilier impératifs écologiques et rentabilité économique. En préservant les arbres, les paysans du sud Niger grignotent le désert. Une belle aventure écologique.
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Incroyable : qui aurait pu croire qu’en cette contrée aride, la forêt regagne du terrain sur le désert ! Avec plus de cinq millions d’hectares récupérés dans un pays où l’on déboise plus qu’on ne respire, quelle divine surprise ! Le plus étonnant, c’est que ce phénomène de reverdissement n’est pas le fait de lourds programmes, mais le résultat d’une technique simple d’élagage et d’écimage des arbres : la régénération naturelle assistée (RNA) ou « Sassabe Zaamani » en langue haoussa.
Une innovation introduite dans la région au lendemain de la grande sécheresse de 1973. Une petite opération menée autour de quelques villages a vite fait de se muer en grand projet de développement. Il ne faut pourtant pas croire que les choses changèrent d’un coup de baguette magique.
Contrairement à la pratique traditionnelle des paysans nigériens de faucher systématiquement les arbustes ou la « broussaille inutile » lors du défrichement de leurs champs, la RNA invite à chouchouter les souches vivantes où les rejets naturels, qui sont sélectionnés, élagués et protégés, afin de hâter leur croissance. Ainsi « couvés », ceux-ci grandissent et donnent de l’ombre, procurent du bois et du fourrage, protègent le sol contre l’érosion, etc.
L’arbre, source de revenus inattendue
Le paysan nigérien a toujours pratiqué la politique de la terre brûlée avant de semer, coupant, brûlant et nettoyant les surfaces à ensemencer de toute impureté ! Dans le même esprit, nombre de projets de développement ont encouragé l’arrachage des souches d’arbres pour permettre le passage des charrues et des semoirs, au nom de la modernisation. Résultat : de vastes étendues de terres chauves de tout arbre, qui ne faisaient pas le poids face à l’érosion et s’épuisaient très vite !
« Le plus dur fut de convaincre les paysans de cultiver sans déboiser » se rappelle Tony Rinaudo, missionnaire, qui a initié le défrichement amélioré pour le compte du Projet développement de Maradi (PDM) et qui, aujourd’hui, parcourt le monde pour prêcher cette « religion verte ». Une fois que la graine prit, impossible de briser son élan. Maradi, Zinder, Tahoua, Tillaberi… Presque toutes ces régions agricoles surfent sur cette vague verdoyante.
Pieds nus, barbe broussailleuse, un paysan coupe le bois avec une énergie insoupçonnée. Scènes désormais banales dans les « 3M » (Mirriah, Magaria, Matamèye), dans la région de Zinder où la forte densité végétale dans les champs de mil, de sorgho ou de niébé surprend. Les gigantesques baobabs ou les étonnants gaos, deux espèces très appréciées pour leur valeur économique et sociale, mais aussi écologique, énergétique, alimentaire et fourragère – les gaos gardent des feuilles vertes en saison sèche, lorsque le foin est rare – s’imposent.
L’intégration de l’arbre au champ l’a fait changer de statut. Il a cessé d’être un bien public pour rejoindre la sphère privée. « Lors de certaines transactions ou tractations, comme le partage d’héritage ou la vente de terres, on tient compte du nombre d’arbres », affirme un paysan de Koda. « La terre a son prix et l’arbre le sien ! » poursuit-il.
Moins de conflits
L’importance de cette densité végétale n’a pas échappé à l’État qui a réglementé la coupe des arbres, en interdisant de prélever au-delà de ce qu’autorise le renouvellement. Il a également initié des marchés ruraux de bois et relancé les services forestiers. « Avant, lorsque le paysan nous apercevait, il détalait », dit en riant ce forestier au poste de Magaria. Troquant leur bâton de policier contre une casquette de conseiller, les forestiers ont désormais le cœur et la main verte. « Ce sont nos amis.
Nous les consultons pour le choix de certaines essences ou pour soigner certaines maladies des arbres » confirme ce paysan. Sec comme un acacia, Malam Zabeirou s’avance. « L’année est mauvaise, dit-il en ajustant son bonnet, mais, grâce à ces arbres, pas de soucis. Tout le monde va trouver son compte : la terre, la famille, les animaux… ». L’année dernière, la seule vente de son bois lui a procuré un revenu confortable de 180 000 Fcfa (274,40 €). « Presque trois fois plus que la récolte de mon mil cette année ! », jubile-t-il.
La RNA a des retombées jusque dans les chaumières. Ainsi les feuilles de baobab ne colorent pas seulement la sauce, mais constituent une importante source de revenus. À raison de cinq à six sacs, un seul arbre procure entre 6 000 et 16 000 Fcfa (entre 9,15 et 24,40 €) par campagne. Ce commerce-là, c’est l’apanage des femmes. Les bénéfices tirés sont reconvertis en animaux, trousseaux pour les enfants nouvellement mariés, billet d’avion pour La Mecque ou permettent l’achat d’un lopin individuel.
La régénération naturelle assistée requinque enfin le vieux couple « agriculteur-éleveur » même si pressions foncières et démographiques ont eu raison des jachères et des pâturages. Les arbres, source de fourrage, permettent de nourrir le bétail sans toucher aux cultures. Une gageure à l’heure où le partage des ressources se fait rarement sans heurt.
Par Abdoulaye Ibbo Daddy