Bénin : quand les dieux préservent les forêts

Le Bénin conserve encore près de 3 000 forêts sacrées, réservoirs de biodiversité et remparts contre la désertification. Bientôt intégrées dans les aires protégées, elles contribuent à leur préservation, en dépit de pressions croissantes.

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À Ouidah, capitale économique du Bénin située à 40 km de Cotonou, un lopin de forêt oppose encore une résistance à une cité en pleine urbanisation. Dans la partie de la forêt accessible au public, de petites cases décorées de dessins de serpent et des amulettes accrochées aux pieds de grands arbres alertent le visiteur qu’il se trouve en un lieu habité par les esprits.

Nous sommes dans la forêt sacrée de Kpassè. « Cet endroit est sacré parce que c’est ici que se trouve l’esprit du roi Kpassè qui, disparu en 1661, s’est transformé en un arbre », raconte Anicet Zantchio, guide dans cette forêt érigée en site touristique. « Nous avons décidé d’ouvrir une partie du domaine au public à la demande du gouvernement. En principe seuls les initiés sont autorisés à se rendre dans cette forêt où nous organisons les cérémonies rituelles, particulièrement l’enterrement des crânes des défunts de notre lignée », ajoute Gédéon Kpassènon, membre de la famille royale de Ouidah qui assure la gestion de la forêt.

Le Bénin, terre du vaudou, regorge toujours de réserves boisées conservées par les gardiens de la tradition, en grande majorité de petits îlots forestiers éparpillés sur le territoire. Une récente étude a répertorié 2 940 forêts sacrées et autres plantations « déifiées » abritant divinités tutélaires, sociétés secrètes ou cimetières pour une superficie totale d’environ 18 360 hectares. Sossou Houngbo, dignitaire du culte vaudou, souligne : « L’herbe est l’essence même du vaudou. Les forêts sacrées ont été instituées pour les nécessités de la religion. À l’intérieur, certaines plantes ont la réputation d’incarner les esprits, d’autres de sanctifier ou de neutraliser les mauvais sorts ou encore d’habiter les esprits maléfiques ».

Selon des témoignages d’adeptes du vaudou, ces forêts jouent un rôle primordial dans les thérapies liées aux cultes. Des réunions de certaines sociétés secrètes et des ordalies, qui jouent un rôle important dans l’exercice de la justice, le maintien de l’ordre et de la cohésion sociale, se tiennent dans « ces sanctuaires boisés ».

Rempart contre la désertification

Même si les forêts sacrées sont prioritairement consacrées aux rituels vaudou, elles constituent, aux yeux de nombreux spécialistes, la forme traditionnelle par excellence de conservation des écosystèmes. « Leur gestion et leur accès, indique Nestor Sokpon, enseignant en sciences agronomiques à l’Université d’Abomey-Calavi, sont réglementés par des principes religieux qui se matérialisent à travers tout un ensemble d’interdits, de prescriptions et de pratiques rituelles qui ont longtemps permis leur protection et leur régénération ».

La réglementation de l’accès au lieu et à ses ressources ont souvent repoussé les propensions humaines à leur destruction. « Nos parents avaient des coutumes pour préserver les écosystèmes, forêts, marigots, etc.

Quand ils sentent la pression démographique, ils implantent un fétiche pour faire reculer l’activité humaine et garantir un certain équilibre environnemental », souligne Ferdinand Kidjo, directeur technique du Centre national de gestion des réserves de faune (CENAGREF).

L’importance de ces forêts dans la préservation de la biodiversité est beaucoup plus forte dans le Nord du pays où les rites d’initiation en forêt sont encore légion.

« La conservation des forêts à des fins initiatiques constitue un vrai rempart contre la désertification, très avancée dans cette région du pays », atteste Ferdinand Kidjo. Pour lui, ces forêts sont comme un réel instrument d’adaptation au changement climatique. « Si on les regarde, renchérit Évariste Alohou, coordonnateur du projet d’intégration des forêts sacrées dans les systèmes des aires protégées du Bénin, on y retrouve des espèces végétales qui n’existent plus nulle part ailleurs. Elles regorgent d’une biodiversité que nous ne retrouvons plus dans les végétations exploitables ».

Il faut sauver la forêt

Mais la force des esprits qui préservaient autrefois l’intégrité de ces surfaces boisées semble s’effriter au fil du temps. « La forêt sacrée de Kpassè couvrait une superficie de 360 hectares, aujourd’hui, elle est confinée dans un périmètre de quatre hectares parce que le domaine a été morcelé au profit des habitations », se désole Gédéon Kpassènon. Évariste Alohou constate que beaucoup de forêts sont aujourd’hui menacées de disparition, car confrontées à une dégradation avancée face à des pressions démographiques et économiques, liées surtout au recul du pouvoir des religions traditionnelles.

« Les gens croient de moins en moins aux esprits des forêts sacrées, qui commencent à faire l’objet d’exploitation frauduleuse », affirme-t-il. Ce recul du poids des croyances traditionnelles a été aussi favorisé sous le régime révolutionnaire marxiste-léniniste qu’a connu le Bénin de 1972 à 1989. « La révolution avait fait couper beaucoup de grands arbres qui, selon les allégations de l’époque, abritaient des sorciers », assure E. Alohou.

Ferdinand Kidjo estime, pour sa part, que l’absence des forêts sacrées dans le système national des aires protégées a contribué à leur dégradation. « Il n’y avait, avance-t-il, aucune réglementation pour accompagner la préservation traditionnelle des forêts, rognées par les populations dont une grande partie, devenue monothéiste, se moque des tabous ».

Conscient du péril, l’État béninois a lancé, en 2010, le projet d’intégration des forêts sacrées dans le système des aires protégées. « Il s’agit pour nous de développer des aires communautaires, de promouvoir un système d’utilisation durable et d’étendre les principes de bonne tenue de ces forêts sacrées et de leur environnement », affirme Evariste Alohou, coordonnateur du projet financé par le Fonds pour l’Environnement mondial. En attendant de passer la main au Code forestier national, les esprits gardent toujours le contrôle sur ce qui reste des forêts sacrées contre la convoitise humaine de plus en plus pressante.

Par Gnona Afangbédji

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