Karim Akouche a le phrasé des artistes et la franchise bien placée. Touki Montréal a rencontré ce kabyle écrivain, dramaturge, poète, expatrié à Montréal.
Parlez-nous un peu de votre plus récente pièce de théâtre Qui viendra fleurir ma tombe?
Cette pièce de théâtre est un cri d’amour adressé à mon peuple et à tous ceux qui survivent à la marge de l’histoire, surtout ceux qui viennent du Sud, comme l’Amérique latine, l’Afrique ou l’Asie. C’est aussi un chant à thèses qui permet de rompre avec les civilisations artificielles et de faire appel aux sources profondes de l’Homme.
Bande annonce de Qui viendra fleurir ma tombe
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Qu’entendez-vous par civilisations artificielles?
La civilisation, ce n’est pas le billet vert. Ce n’est pas les avions furtifs et les satellites. C’est la liberté et l’art de vivre. Les Américains disent « Times is money ». Moi, je dis : le temps est inestimable. Pendant que les gens du Nord disent qu’on a inventé la montre, nous, les gens du Sud, on dit qu’on a inventé le temps.
Votre pièce et votre œuvre en général parlent de l’identité. C’est un thème qui vous tient à cœur?
Amine Maalouf, l’écrivain franco-libanais, a fait un essai sur Les Identités meurtrières. Si je devais écrire quelque chose de ce genre le titre serait, Les identités meurtries. J’y parlerai de ces peuples qui souffrent d’être marginalisés, d’être assimilés aux autres peuples, parce que toutes les cultures se valent et toutes les identités se valent.
En Algérie, il y a ce problème. On parle d’une Algérie qui a une seule langue, un seul peuple. Mais, elle a plusieurs peuples, plusieurs langues, plusieurs identités. Pour avancer, elle doit valoriser sa richesse qui est son identité multiple.
Vous êtes retourné en Algérie récemment, comment l’avez-vous trouvé?
L’avenir me fait craindre le pire. J’ai vu l’Algérie que j’ai laissé il y a 10 ans, mais en pire. Avant 2001, c‘était une Algérie où les femmes ne portaient pas toutes le voile. Aujourd’hui, les femmes se voilent davantage et les barbus pullulent les rues. Les démocrates commencent à perdre leur place en Algérie au détriment des islamistes et des rétrogrades.
Que pensez-vous de la révolution arabe?
Le terme « révolution arabe » est inapproprié parce qu’il n’y a pas eu de révolution, mais plutôt une révolte. En ce moment, on assiste non pas à la Révolution du jasmin, mais à la « révolution du musc », la révolution des islamistes. Il ne faut pas être naïf. Ces peuples n’ont que deux choix : les islamistes ou les militaires.
Tout le problème est là. Les peuples devraient donner un peu plus de place aux démocrates qui aspirent à une plus grande ouverture sur le monde et à aller vers le chemin de la démocratie et de la laïcité.
«Engagé», c’est réducteur parce que qui dit engagé dit sous-entend « urgence ». Je ne fais pas de la littérature de l’urgence. Je fais de la littérature-témoignage en mettant l’être humain au centre de mes préoccupations .
Avant, j’étais ingénieur, je trouvais ça ennuyeux. Moi, j’aime travailler sur la machine la plus compliquée qui soit : l’être humain. J’essaie de la disséquer, de la décortiquer, de la bousculer.
Vous êtes donc un poète humaniste?
Oui, je préfère ce terme.
Votre pièce parle d’exil. Est-ce que vous vous sentez exilé à Montréal?
Je me sentais plus exilé en France qu’à Montréal. Pourtant Toulouse, là où je résidais, est à une heure d’avion d’Alger. Le Canada n’a pas de contentieux historique avec l’Algérie contrairement à la France qui n’a pas encore crevé l’abcès de la guerre d’Algérie.
Il n’y a pas eu réparation et quand il n’y a pas eu réparation, on ne peut pas avancer dans l’Histoire. Du coup, à chaque fois, les mêmes questions reviennent et on n’avance pas.
J’ai foi en le Canada et le Québec, parce que j’ai voyagé partout en Europe et je trouve que les Canadiens sont ceux qui respectent mieux autrui. En fait, il faudrait faire une distinction entre nationalisme et patriotisme parce que comme disait Romain Gary « le nationalisme, c’est la haine des autres; le patriotisme, c’est l’amour des siens ».
Qu’est-ce que s’intégrer?
J’ai vécu en France pendant 6 ans. À chaque fois on me demander de m’intégrer, ou plutôt de m’assimiler, c’est-à-dire de laisser mon âme kabyle et de la remplacer par une âme française. Mais, je ne pouvais pas devenir français parce que je n’ai jamais été français.
C’est vrai que l’identité n’est pas figée et qu’elle évolue, mais me demander de m’assimiler, c’est le plus horrible des crimes. Je me sens vraiment très bien au Canada et au Québec. Ici, on m’accepte tel que je suis.
Que pensez-vous de Montréal, plus particulièrement?
Montréal donne voix aux exilés. C’est cosmopolite, c’est chamarré, c’est plein de couleurs et d’accents. Montréal, c’est une passerelle entre les cultures, un trait d’union entre les peuples.
Quels sont vos projets?
Mes projets… c’est écrire. Publier trois livres et monter deux pièces de théâtre dont Dieu est une femme qui sera une pièce de théâtre sur le droit des femmes de par le monde, mais avec un regard un peu original et une troisième pièce de théâtre, Les Larmes de l’aube, qui traitera de l’immigration clandestine. Cette dernière se fera en collaboration avec le MAI (Montréal, arts interculturels).
Vous continuerez donc à traiter de problèmes de sociétés?
J’adore les idées qui dérangent. Un écrivain ou un dramaturge qui ne dérange pas, ce n’est pas un artiste. Seuls les poissons morts vont dans le sens du courant,comme le dit un proverbe chinois. Je ne suis pas un poisson mort, je vais alors à contre-courant.