Exclus du circuit bancaire classique pour des engagements antérieurs mal honorés, nombre de Burundais se tournent vers le prêt usuraire dont les taux dépassent les 20 %… par mois ! Cette pratique ruine parfois les emprunteurs, qui incapables de rembourser, se retrouvent au tribunal voire en prison.
« Au départ, j’étais super content d’obtenir un crédit d’un million de Fbu (800 $) accessible immédiatement avec un engagement ferme de verser 20 % d’intérêt chaque mois. Mais le délai de remboursement a expiré et mon créancier a commencé à compter les intérêts. Au bout de six mois, je lui devais presque le triple de ce qu’il m’avait prêté. J’ai dû vendre une parcelle pour m’en sortir », confie, la rage au cœur, Antoine Masunzu, de la commune urbaine de Cibitoke, en Mairie de Bujumbura. Il est complètement ruiné et sans perspective d’avenir.
Comme nombre de Burundais, il regrette aujourd’hui d’avoir mis le doigt dans l’engrenage du prêt usuraire, qui finit souvent par pomper les biens présentés à titre de garantie pour convaincre le créancier.
C’est ce qu’illustre aussi la mésaventure de G. A., commerçant au marché central de Bujumbura, la capitale burundaise : « J’avais un besoin urgent de liquidités, témoigne-t-il, et j’ai contracté un petit crédit auprès d’une personne à qui j’ai laissé ma voiture en gage dans l’espoir de la récupérer après lui avoir remboursé son argent au bout d’un mois.
Mais je n’ai pas pu le faire et il l’a donc vendue conformément aux termes du contrat qui nous liait. »
Bien qu’il draine conjoncturellement des foules, ce genre de prêt procède d’un principe très malin : pour 100 Fbu prêtés, le créancier en demande 25 de plus à la fin de chaque mois et le moindre retard creuse encore la dette, si bien que le débiteur paie infiniment plus que ce qu’il a emprunté au départ.
Taux d’intérêt exorbitants
Le prêt usuraire se définit comme une créance entre particuliers, impliquant toujours des intérêts abusifs. Il est interdit, mais il dépanne ceux qui peuvent difficilement recourir aux établissements financiers publics et classiques, dont les taux d’intérêt varient généralement de 17 et 23 % par an et non par mois.
Par les temps qui courent, ils sont plutôt nombreux dans le pays. « C’est un peu comme une épidémie, vu les nombreuses plaintes de gens qui réclament, en justice ou à la police, le remboursement de dettes à des personnes jusque-là sans ressources », remarque Apollinaire Ndayongeje, juriste.
La pauvreté chronique et grandissante explique cette spirale d’endettement. « En raison de la crise qui a ruiné le pays à tous points de vue, la plupart des Burundais n’ont plus de garanties à offrir pour prétendre à un crédit. D’autres ont déjà des dettes bancaires impayées. La Banque centrale a même publié une liste de 13 000 personnes indésirables auprès des banques. C’est pourquoi elles sont acculées à recourir aux prêts usuraires, malgré leurs revers », analyse André Nzeye, économiste.
Des contrats sciemment contraignants
Tenaillé par le besoin et obnubilé par l’idée du cash immédiat, l’emprunteur, plus ou moins conscient du risque encouru, se laisse facilement piéger par le créancier : pour mieux tenir les emprunteurs, certains prêteurs leur font sciemment signer des chèques sans provision à présenter ultérieurement à la banque, afin de les forcer à approvisionner leur compte dans les délais. Sans quoi, les emprunteurs s’exposent à des poursuites judiciaires.
« Parfois, le débiteur ignore qu’émettre un chèque sans provision est passible d’une peine et il se retrouve, du coup, coincé, assigné en justice et sommé de payer », précise Cyprien Mahehu, magistrat. « Pour moi, les choses sont allées très vite, fulmine un chômeur quadragénaire. J’avais d’abord investi dans le petit commerce avec des prêts usuraires glanés auprès des amis ; je n’ai pas réalisé le bénéfice escompté dans les délais prévus et mes créanciers m’ont simplement traîné au tribunal et de là j’ai passé deux mois en prison. La famille a dû se cotiser pour m’aider à rembourser. »
La Justice impassible
B
Pour tenter de se désembourber, certains débiteurs croulant déjà sous le poids d’autres dettes n’hésitent pas à contracter d’autres crédits, histoire de désintéresser les premiers créanciers. Un cercle vicieux qui conduit inéluctablement à la prison.
Par Silvère Hicuburundi