Chambre 208. Kinshasa, République démocratique du Congo. C’est là que se déroule la pièce de l’auteure catalane Lluisa Cunillé, Après moi, le déluge, récemment mise en scène par Claude Poissant au Théâtre de Quat’sous.
Deux Européens discutent : un homme d’affaires, joué par Germain Houde, et une traductrice-interprète, jouée par Marie-France Lambert. Attendant un mystérieux inconnu avec impatience, ils parlent beau temps, vieilles blagues et cicatrices de guerre.
En publiant Après moi, le déluge en 2007, Lluisa Cunillé place au coeur des conversations de ses personnages, l’Afrique et son rapport toujours conflictuel avec les pays riches du Nord qui forment l’Occident. La dramaturge s’intéresse plus particulièrement au regard contemporain des Occidentaux sur l’immense continent.
Un parti pris assumé
C’est un quatuor très étrange qui à la fois prend corps et prend place sur scène. Un quatuor problématique, entre une interprète et un homme d’affaires occidentaux, un père et son fils Congolais.
Un fils absent, mais qui est le sujet principal de la conversation et un père que le public ne verra jamais, car il est invisible, simplement incarné par un fauteuil tourné vers ses interlocuteurs. Un quatuor qui pourrait se résumer à un duo antinomique simple : l’Afrique et l’Occident. Une Afrique érigée en figure de l’invisible face à un Occident bruyant et détaché.
Les paroles du Congolais – vieil estropié dont le fils est un footballeur – sont directement traduites par la femme interprète.
Prêtant donc sa voix pendant plus d’une heure, elle transpose et incarne avec calme et précision les maux qui traversent la RDC et toute l’Afrique : la pauvreté, les enfants-soldats, l’exploitation du coltan, le fantasme souvent inatteignable que représente l’Europe ou l’Amérique du Nord, les guerres civiles, etc.
Il y a d’ailleurs plusieurs références au coup d’état de Mobutu dont la légende raconte qu’il aurait prononcé : « Après moi, le déluge » avant de quitter son pays.
Sous-représentation et violence de la désinvolture
Loin de l’image d’une Afrique silencieuse, incomprise et baignée dans ses flots de sang et de larmes, celle-ci est prolixe, provocatrice, opiniâtre, autoritaire, impitoyable. Imperceptible, mais audible, elle existe et s’impose dans les expressions de panique et d’affolement affichées sur les visages des deux Occidentaux, prisonniers d’un guet-apens dont les filets sont des mots tissés et acérés, clamant la vérité.
De plus, cette présence africaine est d’autant plus impérieuse qu’elle reste sous-représentée. À l’image de ce Congolais dématérialisé, Kinshasa est résumé au temps qui y fait (soleil ou pluie), à la nourriture qui rend malade, ou encore à un paysage vaporeux derrière des rideaux. Finalement, à un tableau placardé sur lequel figurent une girafe et deux hommes noirs.
Habile et malicieuse, Lluisa Cunillé achève avec un cynisme dérangeant et efficace sa pièce. L’insouciance marquante du début réintègre graduellement la chambre d’hôtel, mais apparait tout aussi dangereuse que frivole : « Je ne peux pas me rappeler de tout ce que je traduis ». Sommes-nous arrivés à ce point de non-retour : celui d’entendre sans comprendre, d’entendre sans écouter, d’entendre sans prêter attention? Les hurlements de souffrance semblent être en mode mute.
Après moi, le déluge Sur les planches, jusqu’au 18 mars 2012.
Une production du Théâtre de Quat’Sous
Texte LLUÏSA CUNILLÉ
Traduction GENEVIÈVE BILLETTE
Mise en scène CLAUDE POISSANT
Avec GERMAIN HOUDE et MARIE-FRANCE LAMBERT
Assistance à la mise en scène et régie MAUDE BÊTY
Scénographie GUILLAUME LORD
Costumes CAROLINE POIRIER
Éclairages ERWANN BERNARD
Conception sonore ANTOINE BÉDARD
Maquillages et coiffures FLORENCE CORNET
Accessoires JULIE MEASROCH