La moitié de la population du Sud Kivu est mal nourrie

La malnutrition touche plus de la moitié de la population du Sud Kivu, province pourtant réputée fertile. En cause, l’insécurité quasi permanente qui pousse des milliers de gens à fuir leurs villages et une absence totale de soutien de l’Etat.

Syfia International

Il est 18 heures, la route de l’hôpital général, aux abords de la principale entrée de Bukavu, capitale du Sud Kivu à l’Est de la RD Congo, se transforme en marché. Des femmes parfois accompagnées de leurs enfants crient pour attirer la clientèle. Légumes, fretins, farine de manioc et épices sont étalés a même le sol. De nombreux clients, des femmes pour la plupart, sachets à la main, viennent à cette heure tardive où les produits sont moins cher, acheter de quoi préparer le repas du soir. Dans de nombreuses familles, c’est devenu le seul repas de la journée.

« C’est ‘le taux du jour’ ! Il faut attendre la fin de la journée et si, par la grâce de Dieu, on a eu quelque chose, on court sur la route se payer l’unique repas du soir, chacun selon ses moyens », explique une femme, des feuilles de manioc et une mesure de farine visibles dans son sachet.

La scène est courante dans toute la ville et dans d’autres cités de la province. Rares sont les femmes qui peuvent s’offrir le luxe de faire des provisions, faute de moyens. Elles achètent au jour le jour des aliments à bas prix et souvent peu vitaminés ce qui explique, en partie, la malnutrition devenue préoccupante dans cette partie de la RDC.

L’année dernière le bureau onusien en charge des affaires humanitaires (OCHA) publiait un rapport selon lequel 54% des ménages du Sud Kivu étaient en insécurité alimentaire, souvent en état de malnutrition avancé. Selon la même étude, ce taux est plus élevé dans des villages que dans les villes, des villages pourtant fertiles, jadis greniers de Bukavu.

Nourris par les importations

L’insécurité est la principale cause de cette situation. En effet, avec les conflits à répétition surtout à l’intérieur de la province, de nombreux villageois ont été contraints de fuir vers les villes où ils n’ont aucune terre à cultiver. Le rapport d’OCHA publié il ya quelques semaines révèle qu’au Sud Kivu plus de 850 000 personnes se sont déplacées depuis le début de cette année. « Comment voulez vous qu’on cultive lorsqu’on n’est pas sûr de récolter à cause de l’instabilité sécuritaire », interroge Sifa , une déplacée qui vit de la vente des beignets à Nyawera , en plein centre ville.

« Il n’y a pas que l’insécurité car certaines zones sont stables, explique cependant Rachid Imani, technicien en développement rural, l’agriculture reste artisanale, les terres s’appauvrissent, il n’y a pas d’engrais. On sent un abandon de l’Etat. » Depuis des décennies, les gouvernements n’ont accordé que des budgets faibles, voir inexistants au secteur agricole. Ainsi l’INERA, un centre de recherche agronomique situé à près 30 km de Bukavu alimentait, à l’époque coloniale, toute la région en engrais. Faute de frais de fonctionnement, il est dorénavant abandonné.

La production agricole étant insuffisante, pour se nourrir, la province se tourne vers les importations. Mais les prix augmentent et les revenus des habitants ne suivent pas, les chiffres de chômage étant toujours en hausse. « Depuis quelques semaines le petit sac de riz est passé à 50 $ alors que je l’ai presque toujours eu à 25 $ depuis cinq ans », se lamente Albert Cishugi, agent d’une division publique. Les campagnes devenues improductives s’alimentent en ville en divers produits comme le riz, le sucre, la farine de maïs et le sel, tous importés. Dans les villages, les prix sont même plus élevés qu’en ville, car ils sont fixés en fonction de l’état des routes d’accès et de la situation sécuritaire.

Les Ong n’y changent rien

Depuis presque deux décennies, de nombreuses Ong locales ont été créées pour lutter contre la faim. Mais, même dans les zones où elles interviennent, la situation n’est guère brillante. Elles distribuent des semences ou du bétail mais sans grands résultats. Certaines familles pauvres consomment leurs semences, d’autres les vendent pour satisfaire d’autres besoins, de santé par exemple. D’autres enfin n’arrivent pas à produire suffisamment parce que les terres ont perdu leur fertilité.

Si les Ong disent se heurter aux problèmes de sécurité et de financements insuffisants, le manque d’impacts de leurs actions suscite cependant des critiques. Certaines organisations le reconnaissent. « Je pense qu’il y a plus de programmes d’urgence que de pérennisation d’activités », note Chiza Mugoneke de SAVEO, une association qui œuvre dans le domaine alimentaire.

D’autres dénoncent le fait que certains promoteurs prennent ces organisations comme un fond de commerce en utilisant plus de moyens dans la logistique et les ressources humaines que dans le travail ciblé. « Regardez seulement les primes qu’ils se donnent et faites la comparaison avec le montant investi pour l’action. Vous allez comprendre… », explique Aristide Mupendwa, étudiant à l’Institut de développement rural.

Par Yves Polepole

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