Le premier roman, Notre-Dame-du-Nil, de l’auteure rwandaise Scholastique Mukasonga publié chez Gallimard/Continents Noirs, a créé la surprise en novembre dernier en remportant le prix Renaudot sans avoir figuré sur la liste des récipiendaires potentiels. Il a également reçu le prix Ahmadou Kourouma 2012.
Comme ces écrits précédents, L’Iguifou (2010, Gallimard/Continents Noirs) ou La femme aux pieds nus (2008, Gallimard/Continents Noirs), Scholastique Mukasonga plonge son récit au cœur du Rwanda.
Notre-Dame-du-Nil prend place dans la ville de Nyaminombe, dans un lycée de filles niché dans les hauteurs de la ville. Ces jeunes filles isolées, âgées entre quinze et dix-huit ans, sont formées par des sœurs et des professeurs belges et français afin de former l’élite féminine du pays.
Alors que le Rwanda vit ses premières heures démocratiques après « neuf cents ans de domination hamite », les discours pro-colonialistes belges continuent d’affluer de la bouche des supérieurs hiérarchiques blancs de l’institution scolaire.
Alors que la rentrée scolaire et l’inauguration de la nouvelle Vierge Marie noire introduisent progressivement les héroïnes, d’autres discours se formant en filigrane s’installent dans la narration.
Ceux-là pointent du doigt tout particulièrement la présence de jeunes filles tutsies imposées par les quotas. Et tandis que certaines se font discrètes et rasent les murs, d’autres comme Gloriosa chantent les louanges des Hutu, « peuple de la houe », peuple majoritaire et « vrais Rwandais ».
Sans prétention aucune, Notre-Dame-du-Nil tente de percer et de mettre à jour les tensions de moins en moins latentes entre les deux ethnies, tensions annonciatrices des « évènements » (expression empruntée au roman L’aîné des orphelins de Tierno Monénembo).
Évitant les écueils attendus sur ce thème en traçant une simple frontière manichéenne, Scholastique Mukasonga met en scène deux peuples, victimes tous deux d’une idéologie coloniale basée sur la présupposée supériorité d’une race selon son physique et la division ethnique qui en découle.
– Modesta, dit Gloriosa, as-tu bien observé le visage de la Vierge?
– Laquelle?
– Celui de la statue de Notre-Dame-du-Nil.
– Et alors ? C’est vrai qu’il n’est pas comme celui des autres Marie. Il est noir. Les Blancs l’ont maquillé en noir. C’était sans doute pour nous faire plaisir à nous les Rwandais, mais son fils, à la chapelle, lui, il est resté blanc.
– Mais tu as remarqué son nez ? C’est un petit nez tout droit, le nez des Tutsi. […] Oui, mais, moi, je ne veux pas d’une Sainte Vierge avec un nez de Tutsi. Je ne veux plus prier devant une statue qui a le nez d’une Tutsi.
Se dérobant aux coups de machette, le récit de Notre-Dame-du-Nil n’en est pas moins aussi brutal que peut l’avoir été le roman de Boubacar Boris Diop, Murambi, à travers l’implacable mise en place de « l’Histoire monstrueuse », véritable foyer d’une haine de l’autre orchestrée d’une main de maître par la Belgique et la France.