Au Sud-Kivu, de nombreux commerçants se rendent dans les territoires de Fizi, Shabunda et Mwenga contrôlés par des groupes armés pour écouler leurs marchandises. Avant cela, ils doivent payer des « droits d’exercice ou de passage ». L’armée régulière est parfois complice de ces pratiques illégales…
Négociant d’or, Alphonse* dit revenir d’un entretien avec des maï-maï Yakotumba à Misisi (territoire de Fizi, 350 km de Bukavu, au Sud-Kivu). Comme d’autres avant lui, ils exigent qu’il leur donne 200 $ pour accéder aux carrés miniers. Les vendeurs de divers (savons, laits de beauté, torches, piles) et les chauffeurs doivent eux aussi payer des « droits d’exercice ou de passage ». « Mon véhicule fait plus de deux tours par mois sur l’axe Uvira-Misisi.
Les maï-maï Yakotumba me reprochent de ne pas leur avoir encore payer le droit de passage », explique, l’air inquiet, un chauffeur. Un autre, habitué de l’axe Bukavu-Kigulube (territoire de Shabunda), dit, lui, payer 100 000 Fc (plus de 100 $) au moins par mois au mouvement rebelle FDLR (Front démocratique de libération du Rwanda).
Pour préserver leurs activités dans des entités contrôlées par des groupes armés, les commerçants estiment ne guère avoir le choix. Ils payent selon la nature de leurs activités : 1 000 Fc (1 $) pour un détaillant vendeur de divers, 20 $ pour un grossiste, 100 $ pour un véhicule et jusqu’à 200 $ pour les négociants de minerais, précise, sous anonymat, un commerçant de Misisi. « On nous paye souvent par mois. Mais, chaque fois que le besoin s’en fait sentir, nous passons pour le recouvrement », explique un élément maï-maï Yakotumba en poste sous un arbre à Iseke (localité du territoire de Fizi), un petit sac plein de francs congolais en mains…
« Pas de gaieté de cœur »
En cas de refus, les miliciens pillent ou brûlent carrément le véhicule avec tous ses biens à bord. C’est ce que les FDLR ont fait, en novembre dernier, à celui d’un commerçant dans les brousses d’Iseke, qui transportait carburant, bière et farine de manioc. Lors de ces représailles, même les passagers qui n’y sont pour rien se retrouvent généralement dépouillés de leurs biens. A tel point que désormais, pour aller à Kigulube (territoire de Shabunda), les passagers, avant de monter à bord, s’assurent que le véhicule a payé son droit de passage. Sinon, ils en prennent un autre.
Les négociants de minerais sont encore plus prudents… « Chaque fois que du coltan ou de la cassitérite provient de Mwenga ou Shabunda, ils donnent de l’argent à toute la file d’hommes armés. Des FARDC (armée régulière) en passant par les maï-maï Raïa Mutomboki », affirme un chef de groupement. Les véhicules qui les transportent ne sont ainsi pas fouillés. Et, dissimulés dans des sacs de braise ou de riz, les minerais arrivent sans problème à Bukavu.
Depuis janvier 2013, un seul véhicule a été pillé sur l’axe Uvira-Misisi, affirme un commandant FARDC, qui reconnaît que cela est dû aux liens tissés par les commerçants avec les miliciens…
« On ne collabore pas de gaieté de cœur, déplore un exploitant de cassitérite, avant de poursuivre. Mais, il nous faut vivre et faire vivre les nôtres. » Difficile, en effet, de changer de métier. Quant à aller ailleurs, la concurrence est rude en ville et la plupart ne s’y rendent pas pour écouler leurs marchandises. C’est dans les milieux ruraux qu’ils trouvent des débouchés. « Souvent, nous gagnons jusqu’à cinq fois notre capital », souligne Bahati M., vendeur de divers à Kigulube. En outre, de nombreux commerçants sont résignés, car ils vivent entourés de groupes armés depuis leur plus jeune âge. « Je vis à Misisi avec ma famille. Les milices y ont toujours été depuis ma naissance en 1991 », témoigne, par exemple, un chauffeur d’une agence de voyage.
Etat désarmé ou complice
La présence réduite des institutions explique aussi cette évolution. Dans les zones sous contrôle de l’armée régulière, l’Etat se force, tant soit peu, de lutter contre les pratiques illicites. Certains militaires, auteurs de ces actes, sont même traduits en Justice. Mais, il n’en est pas de même dans tous les villages. L’Etat désarmé, les milices y règnent en maîtres. Par ailleurs, « l’armée est parmi les grands violateurs des droits humains. Certains de ses gradés exigent eux aussi un droit de passage ou d’exercice », affirme le responsable d’une ONG spécialisée de Bukavu. Ce à quoi une autorité militaire répond : « Ce sont certains commerçants qui nous cherchent pour nous donner un peu de sous. Nous ne leur exigeons rien… »
Une chose est certaine : avec ce racket, les groupes armés s’enrichissent et fleurissent. Certains en vivent exclusivement. Même quand ils disent intégrer l’armée, les miliciens, habitués à avoir de l’argent à tout moment, reprennent vite leurs mauvaises habitudes… « Quand j’étais milicien, grâce au droit de passage imposé, je gagnais parfois plus de 100 $ par semaine ! », affirme, semble-t-il nostalgique, un maï-maï qui a aujourd’hui intégré l’armée régulière. Un montant qui correspond à un salaire d’environ deux mois dans les FARDC…
Par Pierre Kilele Muzaliwa