Avant d’enflammer les fans de Hip Hop français, qui s’étaient donnés rendez-vous devant la scène La Presse +, aux Francofolies de Montréal, Disiz, ancienne La Peste, s’est confié sans «bling bling» à Toukimontreal.
Pourquoi avoir fait laisser le côté La Peste de ton nom d’artiste ?
Mon nom d’artiste au départ c’était Disiz tout court. Les gens avec qui je rappais au début vers mes 15-16 ans ont ajouté La Peste, pour mon côté un peu taquin. Ensuite c’est resté collé à moi. Lorsque j’ai décidé d’arrêter le rap sur l’album Disiz The End, je me suis réapproprié mon nom, et redevenu ainsi Disiz sans La Peste.
Toi qui a grandi à Évry (banlieue parisienne), à quoi ressemble le quotidien d’un enfant ou adolescent dans une cité en France ?
Beaucoup de chômage, le niveau scolaire est plus faible qu’ailleurs, misère culturelle et sociale… Mais il y a aussi de l’entre-aide, tu développes de la débrouillardise. C’est un milieu où tu as beaucoup plus de chance de rater ta vie comparé à d’autres endroits. C’est la pauvreté quoi… Mais il n’y a pas que ça.
Comment s’est faite la différence pour toi, tu n’en ais bien sorti ?
J’ai une mère extraordinaire qui m’a bien éduqué. Elle m’a donné de bons poignets sur lesquelles j’ai pu m’accrocher pour pouvoir m’en sortir. Elle m’a donné la vision du bien et du mal, ma mère m’a toujours protégé.
Si tu ne faisais pas de la musique, dans quel domaine tu aurais pu exceller ?
Exceller ? (rires) C’est très présomptueux de dire ça ! Ce serait la boxe anglaise. J’en fais encore un petit peu. C’est un sport que j’aime beaucoup, car il demande du mental et une part de folie… Je suis un peu fou !
J’en fais un peu, en plus je joue au théâtre. Mais ce n’est pas vraiment quelque chose que j’aurais choisi en premier, ce serait plus le sport.
Comment vis-tu ton métissage, est-ce une source de richesse ou de dilemmes ?
C’est plus une source de dilemmes ! C’est une richesse pour ceux qui ne le vivent pas, mais c’est compliqué d’avoir le cul entre deux chaises. Si tu es métis italien-français, ça passe encore. Il y a tellement de différences entre la culture française (par ma mère) et sénégalaise (par mon père). Avec le rapport nord-sud, c’est extrêmement compliqué. Je suis torturé depuis tout petit, en plus des histoires de familles. Je n’ai pas grandi avec mon père, alors c’est difficile de se construire comme ça…
En parlant de famille, tu as toi-même quatre enfants, est-ce qu’être père et rappeur c’est compatible ?
Bien sûr que c’est compatible ! Si tu es honnête avec toi même et que tu ne changes pas de costume. Si tu te dis: je suis rappeur, je suis en concert, je vais serrer des nanas, boire, fumer, prendre de la drogue et le lendemain, je vais rentrer chez moi, être super clean (propre) et bien tu n’y arriveras pas ! Au contraire, tu dois rester le même. Lorsque je suis en concert, je reste un père de famille. Je fais juste mon boulot, la musique, et j’aime ça. J’ai le privilège de vivre de ma musique. Alors je le vis bien…
Fais-tu partie des gens qui pensent que le Rap c’était mieux avant ?
Non, vraiment pas ! Je trouve que c’est une phrase stupide. Le Rap, c’est ce qu’on en fait. Les personnes qui disent ça parlent des années 1990. Mais si tu demandes à ceux de ces années-là, ils te répondront que le Rap était mieux avant. C’est un discours arriérriste. C’est une musique qui vit. Tu ne peux pas la figer dans le temps, ce n’est pas possible.
C’est une métaphore. Une catastrophe nucléaire, c’est négatif. Cet événement a irradié les zones alentours avec la pollution et toutes ces mauvaises choses, les gens sont devenus malades. J’ai choisi de faire l’inverse. Faire une explosion lumineuse, une explosion d’amour, pour irradier tout ce qui se trouve autour de toi avec quelques choses de positif.
Cette expérience je l’ai vécue moi même, c’est ainsi que j’ai pu revenir. Il y a un an et demi, lorsque j’ai décidé de faire Lucide, j’avais beaucoup de dettes. La musique ne marchait pas, personne ne voulait travailler avec moi… À ce moment-là, je me suis ressaisi et j’ai fait cette explosion. Aujourd’hui je suis ici à Montréal, alors qu’en 15 ans de carrière, on ne m’avait jamais invité. J’ai osé croire en quelque chose de lumineux. Fukushima parle de ça…
Comment s’est créé la connexion avec le rappeur Orelsan, sur le son Go Go Gadget ?
Orelsan, je le connais depuis pas mal de temps. C’est son compositeur artistique qui m’avait fait écouter ses maquettes il y a 5-6 ans. On a toujours eu du respect entre nous. Il rappe très bien, il est intelligent, il utilise des sarcasmes, il a de bonnes métaphores et des punchlines efficaces (rimes formant une phrase au contenu cinglant). Je me retrouve dans ce qu’il fait, donc on s’apprécie. J’ai eu l’occasion de l’inviter sur mon projet.
Peux tu définir l’expression : «Vivre avec les moyens du sort» dans ta chanson Les moyens du bord ?
Ma mère me disait ça souvent: «tu vis avec les moyens du bord». Tu fais avec ce que tu as. Et les moyens du sort, c’est se demander pourquoi je suis né dans cette famille, pourquoi ma mère n’a pas eu d’argent… Ça c’est le sort qui décide, c’est la providence. Non seulement tu vis avec ce que tu as, mais aussi avec le destin que tu as.
Une autre expression dans le son Polyurethane (Plastic Life): «Vue ce qu’on supporte, on est tous des héros», que voulais-tu dire par là ?
Je fais beaucoup d’intervention en prison, je vais voir des jeunes de quartiers, des délinquants, du monde placés en foyer… Et parfois tu pleures quand tu vois ce qu’ils vivent. Tu rencontres des enfants qui ont entre 6 et 9 ans qui vivent difficilement, mais malgré cela, ils restent souriants et continuent à se battre. Ils ont des vies tellement catastrophiques, pour moi ce sont tous des héros. La Plastic Life, c’est la vie à l’occidentale. La paix intérieure a été remplacée par le confort. Tu te sens bien quand tu possèdes. Tout ça c’est fake (faux) en fait ! Ce qui est matériel disparaît, s’effrite, brûle… Donc si tu perds ces biens, tu perds ta vie ?
Tu aimes beaucoup le rappeur américain Kanye West, as-tu écouté son dernier album Yeezus ?
Je suis partagé… J’ai aimé son énergie, son côté provocateur. J’ai moins apprécié le fait qu’il ne rappe pas assez. C’est un album très sombre et torturé. Il manque un peu de lumière… En plus il est père de famille maintenant. Je l’ai écouté 2-3 fois seulement. À ce jour, j’ai tout de même préféré ces albums précédents.
C’est quoi un Narbi ?
C’est un mot que mon petit frère a inventé (rires). C’est un mot fourre-tout ! Des fois, je suis un narbi quand je ratte un truc, ou arrive en retard… Tu peux aussi dire : «le mec s’est acheté une nouvelle paire de chaussures trop bien, ah c’est vraiment un narbi !»
Je ne sais pas moi ! En plus extralucide en un mot, cela veut dire que tu vois les choses que les autres ne voient pas. Mais moi c’est en deux mots, c’est l’extra lucidité…
Alors comment devient-on lucide ?
Bon voilà ! On devient lucide quand on accepte de voir les choses telles qu’elles sont. Accepter de voir ce qui va bien et ce qui ne va pas. Par exemple, à l’époque où ça ne marchait plus pour moi, si je me disais tout est gris, tout est foutu, ce n’était pas être lucide.
J’étais père de famille, j’avais de beaux enfants qui rigolaient bien avec moi et travaillaient bien à l’école, le soleil brillait à chaque levée du matin… Il faut savoir repérer cela, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Donc être extra-lucide, je n’ai pas encore atteint ce niveau. Seuls les grands maîtres spirituels l’ont.
Un retour ou un projet au Sénégal pour bientôt ?
J’aimerais beaucoup y refaire un album, mais je vais attendre un petit peu, dans un an ou deux. Je vais aller passer un mois au Sénégal cet été, car ça fait longtemps que je ne suis pas allé, je vais me reposer là-bas.