Des réseaux bien organisés, certains sous couverts d’ONG caritatives, trompent les parents qui leur cèdent leurs enfants. Ceux-ci sont emmenés au Liban, en Angola ou simplement à Kinshasa et utilisés comme esclaves sexuelles, exploités, contraints de voler…
Syfia International
La commission d’enquête parlementaire chargée d’investiguer sur les allégations de trafic d’êtres humains de la RD Congo vers le Liban a mis en lumière fin 2013, l’existence d’un réseau avec des ramifications dans certaines Églises.
« Plusieurs filles adolescentes ont été amenées au Liban pour devenir des esclaves sexuelles et également servir à de basses besognes », affirme le député national Benjamin Mukulungu. Et l’élu d’ajouter qu’ »entre 500 et 1 000 filles s’y trouveraient encore… ».
Selon le Forum international des femmes de l’espace francophone (FIFEF) qui le premier a dénoncé l’existence de ce réseau, et aidé au rapatriement de cinq des victimes qui ont témoigné, ces jeunes filles sont recrutées à Kinshasa par une agence sous le fallacieux prétexte de leur offrir au Liban un emploi décent.
Les filles étaient assurées de travailler dans les hôpitaux, alimentations et autres supermarchés où elles toucheraient 2500 $ le mois. Mais une fois au pays du Cèdre, rien de tout cela, elles sont vendues à des familles libanaises qui les exploitent sans vergogne.
À l’intérieur du pays, certains réseaux, sous couverts d’ONG internationales caritatives, mentent aux parents en disant qu’elles vont s’occuper de l’avenir de leurs enfants pour les laisser partir. À destination, les tuteurs se transforment très vite en bourreaux.
Pauvreté d’enfants
Ce fut le cas pour les cinq garçons de 10 à 13 ans, soustraits à la maltraitance de leurs tortionnaires, qui jouent allègrement ce matin de novembre dans le bureau de la police spécialisée dans la protection des enfants et des femmes de Soyo à Matadi, chef-lieu de la province du Bas-Congo.
Kidnappés il y a trois ans à Tshikapa dans le Kasaï-Occidental, ces enfants ont été gardés pendant plusieurs mois à l’hôtel Mbemba à Matadi. « J’ai été pris de force par un monsieur que l’on appelle « Papa bonheur » à Tshikapa pendant que j’étais à l’église dont mon père est l’un des responsables.
Cet homme m’a emmené à Kinshasa via le Bandundu et m’a promis que je serai soigné aux petits oignons par des Blancs. À Kinshasa, il m’a appris à voler et à faire le portefaix », raconte G.N avec un fort accent Tshiluba (langue nationale parlée dans les deux Kasaï, Ndlr).
« Ils nous tabassaient si nous ne volions pas et si nous ne portons pas au marché les sacs des commerçants et acheteurs », ajoute un autre enfant montrant son bras foulé. Le gosse affirme avoir déjà volé 10 000$ ! C’est à la suite du refus d’un des enfants de prendre du chanvre qu’une discussion a éclaté, alertant la police qui a mis la main sur ces trafiquants d’enfants.
Leur arrestation a permis à la police d’entrer en contact avec l’un des parents qui n’en croyait pas ses oreilles. « Nous avons déjà fait son deuil, car nous ne l’avons plus revu depuis trois ans », pleurait-il au téléphone.
Le trafic d’enfants est devenu fréquent en RD Congo. En août dernier, la police a appréhendé un homme de 45 ans à Kamako au Kasaï-Occidental. Il préparait l’expédition de deux fillettes de 12 ans en Angola.
Il a reconnu les faits lors de l’audition et affirmé qu’il a vendu en Angola au mois de juin deux filles de 13 et 14 ans pour une valeur de 600 $ chacune. Cette traite des filles est monnaie courante à Tshela, territoire contiguë de l’Angola.
Irresponsabilité des parents
Certains parents confient eux-mêmes leurs enfants à des personnes qui disent appartenir à des ONG. En novembre dernier, treize enfants de 1 à 10 ans originaires de Kikwit, Idiofa et Gungu dans le Bandundu ont été récupérés à Masina (une des 24 communes de Kinshasa) chez des individus qui se disaient appartenir à une organisation caritative. Ils auraient promis à leurs parents de les scolariser.
« Les enfants avaient des cheveux jaunis de kwashiorkor et de petits ventres ballonnés », a confié Willy Makiashi, un élu de Gungu (Bandundu), qui avait participé à la recherche de ces enfants.
En avril 2012, une de ces ONG était soupçonnée d’avoir pris 15 enfants de 6 à 8 ans à Seke-Banza au Bas-Congo. « Ces gens leur disaient que leurs enfants iront aux États-Unis où ils seront pris en charge et ils leurs ont proposé de l’argent », rapporte un médecin de l’hôpital général de référence de Seke-Banza.
Il a été témoin d’une discussion entre une infirmière de cet hôpital et son mari au sujet de leur fils qui devait aussi être pris en charge par cette ONG. La situation a dégénéré lorsque le père sans nouvelle de son enfant s’est chamaillé avec sa femme. « Il disait qu’il n’avait jamais donné l’aval à sa femme de céder son fils ».
« Les sanctions doivent être draconiennes contre les parents qui livrent leurs enfants. Il faut que l’État élargisse dans le pays, les tribunaux pour enfants, mais aussi vulgarise la loi portant protection de l’enfant, car, il a des droits », clame Julie Lungu.
La commissaire principale de la police spécialisée dans la protection des enfants et des mineurs, Mado Mpezo, demande aux parents « d’être vigilants et plus responsables pour protéger leurs enfants ».
Par Alphonse Nekwa Makwala