Projeté ce samedi 3 mai 2014 à l’ancien cinéma de l’ONF à partir de 18h dans le cadre du festival Vues d’Afrique, le premier documentaire de la réalisatrice béninoise Évelyne Agli, Sans ordonnance, pénètre l’univers du marché noir des médicaments à Cotonou.
Aujourd’hui, le Nigéria est considéré en Afrique de l’Ouest comme la plaque tournante de la contrefaçon et de la revente de médicaments. Plusieurs usines ont vu le jour dans le pays, copiant illégalement les formules de médicaments importés des pays émergents et souvent périmés. Pays limitrophe, le Bénin et ses milliers de revendeurs profitent de ce marché noir très lucratif, développant ainsi un marché parallèle à celui des pharmacies reconnues par l’État.
Depuis l’Appel de Cotonou en octobre 2009, la fondation Chirac qui lutte pour un accès à la santé et à des médicaments de qualité ainsi que les hautes sphères gouvernementales burkinabées et béninoises mènent une bataille acharnée pour démanteler les réseaux de circulation de ces médicaments illicites dont les conséquences sur la santé sont dangereusement inconnues.
« Étant plus jeune, et comme il était de coutume pour tous les enfants, j’étais contrainte de boire une infusion contre le paludisme tous les matins avant d’aller à l’école. Mais peu à peu, les tisanes ont disparu de mon quotidien et de celui de beaucoup d’enfants…Et pour cause : l’introduction offensive des médicaments de rue, fabriqués pour la plupart au Nigeria, au Ghana et en Inde, s’est peu à peu inscrite dans l’ordinaire de mon pays, et bien que tout le monde connaisse les conséquences potentiellement néfastes de ces médicaments sur la santé, la majorité de la population béninoise, faute de mieux, les consomme. » (Evelyne Agli, extrait du blogue Docs Afrique[s])
Humaniser le trafic illégal
Le documentaire d’Évelyne Agli ne se fait pas le porte-drapeau de cette lutte certes légitime et noble, mais qui hélas ignore le microcosme économique qui découle de cette organisation. La réalisatrice suit ainsi le parcours quotidien de Gérard, chiromancien se prétendant médecin, et celui de deux femmes vendeuses de tisanes traditionnelles et de médicaments.
Dévoués corps et âme à leur travail, ces trois intermédiaires particuliers sont perçus par les habitants de Cotonou comme de véritables guérisseurs. Leurs plaquettes de pilules, moins dispendieuses que celles prescrites par les hôpitaux, leur assurent confiance et estime de la part de leur communauté. Tous trois doivent néanmoins faire profil bas lors des descentes de police, de peur de perdre la totalité de leurs marchandises.
Surconscients des risques que peuvent encourir leurs « patients » si la qualité des médicaments est douteuse, Gérard et les vendeuses veillent au grain en vérifiant les dates de péremption et en apprenant par cœur les posologies exactes.
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La santé : une non-priorité
Sans ordonnance dédiabolise le trafic clandestin en dénonçant les carences du système de santé béninois et en mettant en avant la débrouillardise et l’intelligence situationnelle des vendeurs de rue, exerçant souvent à perte, mais toujours par élan du cœur.
Toutefois, il ne faut pas s’y méprendre : le documentaire d’Évelyne Agli ne cautionne ni n’encourage en rien ce réseau médicamenteux parallèle. Déplaçant le débat sur le plan humain, il ne fait que signaler les mêmes véritables problèmes : le scepticisme populaire envers les institutions médicales et l’inaction du gouvernement à réformer le système de santé.