La riche diversité de la programmation du Festival des Films du Monde offre à son public l’occasion rare de pénétrer au sein de la communauté des fermiers blancs sud-africains avec le documentaire, I, Afrikaner, d’Annalet Steenkamp, projeté pour la première fois à Montréal.
Soutenu par l’International Documentary Film Festival Amsterdam (IDFA) depuis 2009, le documentaire I, Afrikaner d’Annalet — est un véritable bijou cinéanthropologique.
Le film est scénarisé et co-édité par Emma Bestall, par ailleurs très intéressée par le médium cinématographique comme vecteur idéal pour générer une compréhension globale des mondes et des cultures qui nous entourent.
I, Afrikaner suit quatre générations de Boers Afrikaners, ces fermiers blancs sud-africains, descendants majoritaires des premiers colons européens.
Très éloignés des grandes villes telles que Johannesburg ou Durban, les agriculteurs sud-africains vivent majoritairement sur leurs vastes terres qu’ils traversent quotidiennement à bord de leur pick-up. Isolés du monde urbain, ils le sont aussi des populations noires qui vivent dans les alentours.
Profondément attachée à sa culture, Annalet Steenkamp filme ainsi régulièrement les membres de sa famille : sa grand-mère, survivante de plusieurs attaques contre sa ferme et obligée de quitter son époux pour des questions de sécurité, son frère, propriétaire terrien fraîchement marié réticent à partager l’héritage agricole des Boers avec les Sud-Africains noirs, sa belle-sœur, traumatisée par l’assassinat de son père fermier mais qui aspire toutefois à posséder elle aussi à son tour sa propre ferme pour y faire vivre sa famille, etc.
I, Afrikaner est avant tout l’histoire d’un peuple à part entière avec ses traditions, son histoire et ses aspirations souvent empreintes de nostalgie, légitimement ancré au sol sud-africain comme l’est tout autant la communauté noire.
Vingt-trois ans après l’abolition de l’Apartheid, il n’est aujourd’hui plus question de savoir qui à droit de possession sur les terres mais comment partager celles-ci pour un futur économique et une cohabitation harmonieuse plus fructueux.
Alors que les inégalités sont croissantes et difficilement réductibles après deux décennies de démocratie, les anciennes générations d’agriculteurs blancs peinent à entamer une passation des richesses terrestres, pétries de préjugés et de craintes fondées que l’on ne peut et ne doit pas juger.
Si les anciennes générations sont hostiles à une transition vers plus de mixité socioprofessionnelle, leur passé proche lourdement ensanglanté par les nombreuses pertes ne fait que les conforter dans un idéal qui entrave toute volonté de résilience.
Enlisement ou envolée ?
Où réside alors l’espoir ? Certainement dans le personnage de Shanel, la jeune nièce de la réalisatrice, « a child of democracy », amie des travailleurs noirs avec qui elle passe le plus clair de son temps, parlant couramment sotho.
Malgré les réticences de sa famille, Shanel continue de vendre des poules aux jeunes noirs des alentours, croyant en un avenir où la haine laissera la place à l’amour et à la fraternité. Au volant de son véhicule, les yeux embués de larmes, elle partage à sa tante ses convictions profondes d’égalité et sa lucidité sur les relations problématiques et autodestructrices entre Noirs et Blancs : « Many people don’t understand the dream ».
Programmé au South African International Documentary Festival en juin dernier, I, Afrikaner montre une fois de plus que la compréhension des conflits au sein d’un pays tel que l’Afrique du Sud ne peut se faire qu’en refusant une lecture manichéenne limitatrice et moralisatrice.
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