Travail pénible, santé précaire, maigres revenus… Les casseuses de pierres de la carrière de Mbouono (8e arrondissement de Brazzaville) ont parlé de leur quotidien avec journalistes, OSC et autorités locales, lors d’un débat communautaire.
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« Casser la pierre nécessite des efforts physiques, mais je n’ai pas de choix. J’ai trois bouches à nourrir« , a lancé en préambule Gracia Kisouboulou.
C’était en octobre dernier, à l’occasion d’un débat communautaire animé en kituba par Annette Kouamba Matondo et Flaure Elysée Tchicaya, deux journalistes du projet « Journalistes, associations et autorités locales contribuent à un meilleur respect des droits de femmes rurales pour lutter contre la pauvreté« . Débat supervisé par Gaston Elbi Enkari, coordonnateur du projet, assisté par Piero Valabrega, représentant de la Délégation de l’Union européenne.
Au cours de ces échanges, une centaine de casseuses de pierres et de maraîchères (certaines exerçant les deux activités) de Mbouono, un quartier du 8e arrondissement de Brazzaville, se sont, sans détours, exprimées sur leurs difficultés.
« Quand je suis arrivée ici, je n’avais qu’une idée : casser la pierre, économiser un peu d’argent, puis aller apprendre un métier. Mais, sur place, la réalité a été toute autre…« , a révélé Patience Nkoussou.
Cette dernière faisait allusion au faible revenu de la vente de 2m2 de pierres passé à 20 000 Fcfa (30 €), contre 30 000 Fcfa (45 €) il y a quelques années. Une baisse des prix qui s’expliquerait par la vente au détail dorénavant dans des dépôts du quartier.
Du coup, certains véhicules ne viennent plus jusqu’à la carrière acheter la caillasse aux casseuses. Leurs recettes sont d’autant plus maigres, qu’elles mettent en général deux à trois semaines pour obtenir 2m2 de pierres…
Aucune protection sociale, ni médicale
Par ailleurs, l’extraction des pierres n’étant pas règlementée par le ministère des Mines dans ces carrières, quelques agents véreux de cette institution prélèvent 1 000 Fcfa (1,5 €) à chaque casseuse, lors de chaque vente.
Les propriétaires terriens ou fonciers perçoivent eux aussi 1 000 Fcfa. Enfin, les blocs de pierres les plus gros étant cassés par des hommes, les femmes doivent leur acheter 5 000 Fcfa (7,5 €) ces blocs qu’elles cassent en menus morceaux.
« En général, il ne nous reste que 12 à 15 000 Fcfa (18 à 23 €). Et, avec cela, je dois faire face aux dépenses quotidiennes, en plus de la scolarité des enfants !« , a résumé Simone Bakalafoua, dans la quarantaine, dans la carrière depuis déjà 12 ans.
Son fils a ainsi été obligé d’arrêter les cours à l’université : « Au début, je faisais de mon mieux pour qu’il ne manque pas d’argent pour le transport, la nourriture et les photocopies à la fac, mais je n’en pouvais plus… Il a été obligé de rester à la maison…« , a confié avec regret Simone. Elle a ajouté que, dans ces conditions, acquérir une parcelle était, pour elle, une utopie.
Ces femmes travaillent dans des conditions très dures (soleil, poussière, sans lunettes ni gants de protection, outils rudimentaires), sans aucune protection sociale, ni médicale. Elles sont souvent victimes de sinusites, de douleurs musculaires et pulmonaires, mais n’ont pas de quoi se soigner décemment.
« Quand tu travailles affamée sous le soleil, tu peux t’évanouir. Une fois de retour à la maison, tu as mal aux yeux, aux articulations. Nous n’avons pas toujours les moyens d’aller à l’hôpital. Du coup, nous nous approvisionnons dans des pharmacies de rue pour apaiser les douleurs« , a fait savoir Clarisse Mouani Batsimba, 49 ans.
Zone de non droit
La carrière de Mbouono semble abandonnée, sous l’emprise des propriétaires fonciers. « Les femmes se plaignent de l’état de route, du manque d’infirmerie. Elles n’ont pas tort, puisqu’elles versent des droits aux propriétaires fonciers et aux agents du ministère des Mines. Mais, nous ne pouvons plus rien faire, vu que nous avons laissé la gestion de ce site aux propriétaires terriens », a reconnu, impuissant, Samuel Kivoua, secrétaire du quartier Mbouono.
Selon François Xavier Mayouya, président de l’association Œuvre notre dame des veuves & orphelins du Congo : « Il est important de vous réunir dans un collectif, afin de faire entendre vos doléances aux autorités locales et d’obtenir des financements des bailleurs. »
Les casseuses de pierres ont écouté avec enthousiasme et une certaine réticence cette proposition, leur précédente tentative de s’organiser en groupement, il y a quelques années, n’ayant pas duré. En attendant, elles sont obligées de se débrouiller seules.
A l’image de Pierrette Babindamana, qui a reçu des éclats de pierres à un œil. Celui-ci en a gardé une coloration rouge et est quelque peu atrophié. Pas de quoi, semble-t-il, décourager Pierrette.
Mais, a-t-elle vraiment le choix ? « Je ne sais pas si je pourrais faire autre chose. Même si on me donnait de l’argent pour vendre toute la journée au marché, je n’aurais pas la patience, ni assez le sens du commerce, pour m’en sortir. »
Par Annette Kouamba Matondo