«On me demande toujours d’où je viens, comme si je venais forcément d’ailleurs […] Est-ce parce que dans l’imaginaire commun, un Français c’est un Blanc?» se demande la réalisatrice Isabelle Boni-Claverie dans son documentaire choc «Trop noire pour être Française», présenté à l’ancien cinéma de l’ONF, dans le cadre du 12e Festival international du film Black de Montréal.
Quelle est la place des Noirs dans la société française? Comment sont-ils perçus dans un espace public majoritairement blanc et dans les médias? Qu’est-ce que ça signifie d’être Noir en France? Quelles sont leurs chances de réussite comparativement à leurs compatriotes blancs?
Isabelle Boni-Claverie tente de répondre à ces questions dans son documentaire de 52 minutes. Issue d’un milieu très privilégié, la couleur de la peau n’avait aucune importance lorsqu’elle était enfant.
Mais sa vision des choses a changé lorsqu’elle avait 6 ans. Pour Noël, son institutrice avait comme idée de reconstituer la naissance de Jésus. La petite fille voulait alors incarner le rôle de Marie, mais elle a plutôt hérité du rôle de… Balthazar, un roi venu d’Afrique.
Le déclic
En 2010, Jean-Paul Guerlain, héritier du célèbre parfumeur français, déclare dans le journal télévisé sur la chaîne publique France 2: «Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin…»
Le sang de la réalisatrice n’a fait qu’un tour. En tant que femme française et noire, elle a décidé qu’il était grand temps d’agir. Surtout qu’à part la journaliste martiniquaise Audrey Pulvar qui avait signé un éditorial musclé intitulé «Le nègre, il t’emmerde!» sur France Inter, l’absence de paroles publiques fortes pour condamner ces propos l’avait fortement ébranlée.
C’est de là que vient l’idée de faire ce documentaire sur lequel elle a commencé à travailler en 2011.
«Comme toute personne noire ou métisse de France, je vis le racisme depuis toujours, qu’il soit direct ou non. C’est terriblement humiliant et très insidieux, parce qu’on se demande toujours: c’est parce que c’est moi ou c’est parce que je suis noire?» a expliqué la réalisatrice dans un article du «Nouvel Obs» en 2015. «Trop noire pour être Française» a eu l’effet d’une petite bombe lors de sa diffusion sur les ondes de la chaîne ARTE cette même année.
«Tu sais que tu es noir(e) quand…»
Stéréotypes, discriminations, racisme ordinaire… En se basant sur son histoire personnelle et avec l’éclairage de l’historien Pap Ndiaye, auteur de La condition noire, Essai sur une minorité française ou encore de l’historien et philosophe camerounais Achille Mbembe qui a écrit Critique de la raison nègre, la réalisatrice brosse un portrait sans concession de l’état du racisme en France à l’égard des personnes noires.
Celle d’une jeune femme qui était serveuse lors d’un rassemblement du Front national et qui s’est fait appeler «Cheeta» par des militants (qui lui ont par la suite lancé des miettes) a engendré des soupirs d’indignation dans la salle.
Comme elle le souligne dans son film, la société française a été trop longtemps nourrie aux stéréotypes raciaux. Restes du colonialisme et de l’esclavage, stéréotypes sur le corps des personnes noires… Peu importe le milieu social, «la classe n’efface pas la race» souligne l’un des intervenants à la fin du film.
Informatif, drôle, impertinent, Trop noire pour être Française est un documentaire qui fait assurément grincer des dents, mais qui est absolument nécessaire. Même s’il se concentre sur l’expérience de personnes noires, il trouvera certainement un écho parmi les personnes issues d’autres minorités ethniques.
Pour voir un extrait du documentaire
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