Trois artistes, trois femmes, trois solos pour peindre l’Afrique, c’est ce que proposait la semaine dernière, Tangente, dans le nouvel édifice Wilder. Une inspiration puisée dans des racines et parcours de vie multiples et retranscrite à travers différentes formes d’arts africains.
Une femme noire doit être forte, puissante, résistante, à l’image d’une tigresse, murmure une voix off lors de la performance de Ghislaine Doté. Née en France et élevée en Côte d’Ivoire, l’artiste multidisciplinaire raconte son cheminement d’artiste rêvant de pouvoir incarner des princesses Disney ou de jouer dans La mélodie du bonheur, des rôles qui ne sont cependant tenus que par des blondes caucasiennes.
À travers un texte tantôt drôle tantôt cinglant, elle pointe les stéréotypes persistants qui cantonnent les femmes noires à des rôles de chanteuses de jazz à la voix rauque.
Alternant des passages de théâtre, de danse et de chant, Ghislaine interroge le public sur la perception de l’autre avant de se lancer avec grâce dans une performance de danse intense et expressionniste. La danse apparaît ici comme le catalyseur de toutes les émotions, libérant et exorcisant les tensions.
Funmi Adewole conte l’histoire d’une jeune fille bouleversée par ses rêves et cauchemars provoqués par un changement de pays. Successivement à Lagos, puis à Londres, endormie, puis éveillée, le message est brouillé, le spectateur plongé dans son univers désorienté.
La chercheuse et dramaturge née en Grande-Bretagne et élevée au Nigeria alterne danse et scènes de jeux où elle est poursuivie par des montres : ses propres démons qui ont émergé suite aux déracinements qu’elle a connus. Son inconscient tente de les vaincre alors qu’elle est endormie.
La performance est impressionnante, parfois déroutante et presque psychédélique. L’artiste parvient cependant à entraîner le spectateur dans son monde. Pas besoin d’effets spéciaux, les regards de l’actrice suffisent à eux seuls à comprendre l’état d’esprit dans lequel se trouve la jeune fille qui réussira finalement à évacuer ses peurs.
« Qui suis-je : la reine, Beyoncé ? », interpelle Alesandra Seutin.
Dans une troisième performance, l’artiste danseuse et chanteuse interagit avec le public, en partageant son expérience d’Afro-européenne dans une mise en scène symbolique reproduisant les frontières physiques, mais aussi mentales qui confinèrent les noirs en arrière- plan de la société.
« ‘If you are black stay back, If you are white, you’re alright » répète Alesandra tout en incarnant différents personnages qui prennent vie à travers des danses africaines, urbaines et européennes.
Mélangeant les genres artistiques et esthétiques avec habilité, Alesandra se met dans la peau d’une chanteuse, danseuse et femme politique avec pour seuls artifices ses mouvements de corps et expressions faciès.
Théâtre, expression corporelle, orale, chant et danse, une performance peut mélanger plusieurs disciplines, illustrent les trois chorégraphes et interprètes.
« En Afrique, on danse, on chante, on conte en même temps » souligne Alesandra Seutin. Dans leurs spectacles, les artistes qui mettent surtout la danse à l’honneur, s’inspirent des danses traditionnelles africaines et les transforment en danses contemporaines.
Pour Ghislaine Doté, la danse contemporaine africaine doit être perçue comme une abstraction qui fait écho au monde actuel :
« Il s’agit de suivre son instinct artistique. Ce qui ressort de mes danses, c’est ma perception du monde, je parle à l’humanité, à l’inconscient politique».
Alesandra Seutin va plus loin, jugeant ses créations politiques : « Je crée des choses qui gênent via la danse, je prends un parti, je mime des caractères d’aujourd’hui ».
Funmi Adewole conclut en soulignant que : « La danse sert à exprimer ce qui est important pour soi, actuellement. La particularité de la danse contemporaine est qu’il n’y a pas de règle, les règles s’arrêtent là où commence l’expression personnelle ».