Le photographe Michel Huneault propose aux spectateurs de vivre une expérience inédite: celle de demandeurs d’asile qui se font intercepter à la frontière entre les États-Unis et le Canada. Ce travail réalisé en collaboration entre l’ONF et le journal Le Devoir peut être vu sous la forme d’une exposition au centre Phi, mais aussi expérimenté à 360 degrés sur le site onf.ca/roxham.
À travers un travail documentaire de superposition photographique et sonore, cet artiste visuel aborde la question des migrations irrégulières, qui depuis l’été 2017, ne cessent d’augmenter au Canada.
En cause: le devenir de plusieurs milliers de migrants aux États-Unis devenu incertain depuis la révocation du programme de protection temporaire pour les ressortissants de certains pays par le président Donald Trump.
Le photographe a recueilli 32 histoires vécues lors du passage de ces demandeurs d’asile au Québec. Avec la créatrice sonore, Chantal Dumas, et la designer interactive, Maude Thibodeau, Michel Huneault retranscrit, via cette expérience immersive, un profond malaise et une large confusion.
Entrevue avec Michel Huneault, photographe documentaire et artiste visuel contemporain.
Pourquoi avoir choisi de retranscrire ces témoignages sous la forme d’une expérience immersive?
Je ressentais un malaise à représenter ces personnes, car je devais préserver leur anonymat et je cherchais en même temps le moyen de documenter au mieux ce moment historique.
J’ai alors choisi d’adopter cette stratégie visuelle consistant à recouvrir les personnes de tissus pour cacher leur identité, mais aussi la couleur de leur peau, afin que le public ne se laisse pas envahir par des préjugés.
Du son a été ensuite ajouté et en fusionnant avec l’image, cela a permis de retranscrire davantage les pas hésitants, les voix changeant de ton, la confusion qui régnait. J’ai décidé d’enregistrer ces scènes et de les livrer sous forme de sons bruts afin de stimuler à la fois le regard et l’écoute du spectateur.
Au centre Phi, des écouteurs sont remis au public, je conseille de faire de même lors de l’écoute en ligne.
Les gens peuvent écouter ces scènes comme s’ils étaient à Roxham en direct. L’environnement de Roxham est restitué de façon minimaliste via un design interactif, l’idée était de décrire sans prendre parti.
Pourtant des enjeux légaux sont aussi abordés à travers ce reportage ?
Oui, les enjeux légaux et internationaux sont importants ici. Il s’agissait justement d’expérimenter de nouvelles formes de représentations artistiques pour traiter ces enjeux complexes de façon originale.
L’idée est de capter l’attention des spectateurs à qui on présente une expérience humaine, une situation où des migrants sont concrètement confrontés aux enjeux que soulèvent les ententes internationales en l’occurrence, dans ce cas, celle sur les pays sûrs signée entre le Canada et les États-Unis[1]. C’est cet accord qui pousse les migrants à commettre un acte irrégulier, soit celui de passer entre deux ports d’entrée officiels.
Nationalité, crise, frontière, immigration, c’est tout un concentré de l’histoire qui se joue lors de ce passage de migrants vers le Canada et qui pousse à s’interroger sur les notions de frontière et territoire : Qu’est-ce qu’être citoyen, que signifie protéger un pays?
On perçoit que l’expérience est confuse pour tous les protagonistes : aussi bien les migrants que les agents de la GRC…
C’est cette situation de trouble que j’ai voulu retransmettre à travers des capsules le plus brut possible. C’est vraiment un espace et un moment précis qui sont représentés.
Les agents de la GRC sont là pour arrêter les migrants. Ils les avertissent qu’ils seront arrêtés s’ils traversent la frontière et en même temps, le passage se fait dans des conditions tellement extrêmes que parfois ils doivent les aider physiquement à franchir les fossés.
Ces agents sont forcément touchés par ce qu’ils voient, ils peuvent s’imaginer les situations auxquelles ces personnes ont été confrontées dans leur pays aussi, car ce sont souvent des agents qui ont effectué des missions à l’étranger dans des zones de conflits. La plupart des migrants qui ont traversé en ma présence provenaient du Nigéria, du Soudan, du Pakistan, du Congo, des pays en proie avec des crises.
D’un autre côté, ils ont affaire à des personnes qui, souvent, ne parlent ni l’anglais ni le français, et qui se méfient des réponses qu’ils donneront, le dialogue est tendu, confus.
Vous avez aussi couvert la crise des migrants en Europe, en quoi la situation diffère ici ?
Mon moment le plus marquant de ce reportage fut la première tentative de passage que j’ai vécue. Une femme enceinte en provenance du Nigeria a tenté de traverser seule la frontière en février.
On comprend ici qu’il y a un enjeu politique pour protéger les personnes les plus vulnérables. Si ces personnes sont intimidées, il n’y a plus de protection pour ces personnes donc cela signifie que la politique n’est pas appliquée.
La différence notoire avec ce que j’ai pu voir en Europe repose sur le fait qu’à Vienne ou Munich, dans des postes frontaliers, dans des gares, les demandeurs d’asile ont un contact avec le public. Ils sont visibles. J’ai vu des gens qui les aidaient, l’engagement était perceptible.
Ce qui se passe sur le chemin Roxham n’est pas visible par le reste de la population québécoise, c’est ici que réside toute la différence. Or avec cette expérience interactive, j’espère que les gens auront une perception plus claire de ce qui se joue à Roxham et donc pour les droits humains.
[1]
[1] 3. Entente sur les tiers pays sûrs. Elle a été signée avec les États-Unis et est entrée en vigueur en 2004. Le principe est simple : demander l’asile dans le premier pays où l’on se trouve. Un demandeur d’asile en provenance des États-Unis sera donc refoulé s’il se présente à la douane de Lacolle par exemple. La règle s’applique uniquement à ceux qui font une demande à un poste frontalier. Elle ne s’applique pas à une personne qui ne se trouve pas à un point d’entrée régulier. (Source : ONF)