Faire un deuxième album pour un artiste est difficile. Comment se réinventer sans perdre son essence? C’est un véritable tour de force que réussit Sarahmée avec irréversible son deuxième album, sorti sous l’étiquette Bonhomme/Ste4. L’artiste se positionne ici en conquérante et avec raison.
Sur Irréversible, oubliez le rap local québ! Nous sommes dans une catégorie à part, un son propre à Sarahmée où les mélodies sont accrocheuses.
Le flow est mature et fluide. La musique est festive, sur des rythmes urbains, surtout pop, afro/trap (mélange de rap francophone et de coupé décalé), hip-hop et même latin.
Irréversible a tout le potentiel de voyager sur les scènes internationales. C’est l’album de la conquête.
L’album a été confectionné avec le beatmaker Thomas Lapointe et le guitariste d’origine colombienne (détenteur d’une maîtrise en musique de l’Université de McGill) Diego Montenegro.
Sarahmée Ouellet, ancienne étudiante en littérature, a développé un flow chantant et moins carré qu’impose le Hip Hop francophone. Elle joue avec les mots mais ne perd rien de son aplomb et de l’urgence de le dire.
Elle chante et rappe de façon crue son indépendance, ses sacrifices, ses amitiés et ce qu’elle est devenue: une femme libre. Sa voix chantée est juste, contrôlée et affirmée.
L’album s’ouvre sur Le cercle se rétrécit où l’artiste met les bases et fait le point: «J’ai passé plus de 4 ans à peaufiner ma plume… faire de la limonade avec l’amertume».
Puis, vient Freedom, sur un beat pop et coupé décalé, qui sonne comme une tonne de briques. Le refrain est entraînant et le riff de guitare (à la sauce congolaise) de Diego Montenegro est tout simplement savoureux.
On découvre alors que l’artiste s’est accrochée à son rêve de continuer à faire de la musique et à son talent, malgré les mésaventures qui lui sont arrivées dans le milieu artistique.
«On m’a dit que je devais tout lâcher, ne pas cogner aux portes déjà fermées qui si je n’ai pas encore percée c’est que mon heure a déjà sonnée» – Sarahmée.
De parents québécois, née et ayant vécu au Sénégal, en Tunisie et au Rwanda, Sarahmée fait porter à l’albumles couleurs du continent africain.On constate que l’artiste a puisé dans son enfance, est retournée à la source et à la rencontre de ce qu’elle est.
Les références à l’Afrique donnent une identité forte à l’album. Elle y chante même Abla Pokou (la reine qui vers 1770, mena le peuple Ashanti du Ghana vers la Côte d’Ivoire, en sacrifiant son fils unique pour traverser le houleux fleuve Comoé).
Mais Abla Pokou, c’est aussi le surnom que la mère de Sarahmée lui donnait lorsqu’elle était enfant.
Avec son accent fusionné, voire hybride, Sarahmée rappe principalement en français. Mais elle ne se gêne pas pour utiliser des mots créole, wolof, anglais et nouchi (argot de rue utilisé en Afrique de l’Ouest).
D’ailleurs, il faut soit maîtriser les bases du Nouchi ou faire une petite recherche sur google pour comprendre les paroles assez cocasses du titre Mogo... «Ton mogo là mougou...faut casser son cou», clame-t–elle.
Irréversible démontre aussi que le producteur Tom Lapointe, par sa polyvalence et sa précision, est en train de se tailler une place de choix sur la liste des meilleurs beatmakers à Montréal. Que dire de l’excellent guitariste Diego Montenegro? Il aura certainement une liste d’attente pour travailler sur des projets d’artistes.
Irréversible est truffé de très bonnes chansons: Fuego, Le malin, Peligrosa, Ma peau, Bun Dem. Mention spéciale au rappeur sénégalais Nix en featuring sur Alléluia.
C’est l’album que nous attendions et à ce niveau de Sarahmée Ouellet. BRAVO!