C’était il y a un an, à une autre époque. Avant la pandémie actuelle, source d’inspiration de son plus récent titre Corona. Dans le cadre de sa tournée québécoise, Touki Montréal a rencontré l’auteur-compositeur-interprète Tiken Jah Fakoly pour discuter de son album au titre presque prophétique Le monde est chaud (Universal). Les temps ont changé, mais pas les mots de l’artiste qui restent (toujours) d’actualité.
14 juin 2019. Me dirigeant vers Tiken Jah, je lui ai tendu la main chaleureusement en m’adressant à lui en Dioula. « Ani sogoma. ani tilé. I kakene wa? (Bonjour, bon après-midi. Comment vas-tu?) » avant d’enchaîner rapidement en français, question de masquer ma maîtrise limitée de la langue mandingue.
Il a paru surpris et a souri. L’attention était captée. Il m’a alors proposé qu’on s’asseyent sur le divan pour être confortable. Ce pro de l’entrevue, calme et généreux, s’est prêté facilement au jeu des questions-réponses.
Écologie est une chanson phare sur votre dernier album et elle se démarque. Nous sommes loin de la lutte, du pouvoir malveillant, de la révolte. Comment vous est venue l’inspiration pour l’écrire?
En fait, je regardais un documentaire chez moi sur la fonte des glaces et le réchauffement climatique.
L’inspiration est alors venue naturellement.
Je voulais apporter ma petite contribution et sensibiliser la population. Lui dire que la nature est en train de nous parler et nous nous devons de l’écouter pour trouver des solutions.
La mélodie du titre Écologie est magnifique, fluide et les paroles sont touchantes et imagées. Lors de l’étape de création, par quoi commencez-vous en premier ? L’écriture ou la mélodie ?
La mélodie vient souvent avant. Le refrain vient en premier et des fois, il ne me lâche pas. Alors, je peux le chanter durant une ou deux semaines. Ensuite, le couplet arrive et j’écris ce que j’ai envie de dire.
Pour la chanson Le monde est chaud, je chantais sans cesse le refrain et les paroles du couplet sont arrivées après. Ensuite, l’idée de travailler avec Soprano sur le morceau est venue. Je trouvais que ce serait une bonne collaboration.
Justement, à part avec Soprano, vous n’avez pas beaucoup de collaborations avec d’autres artistes. Est-ce qu’il y a une raison à cela?
Pour moi, une collaboration doit venir du fait qu’on veuillent travailler ensemble. Oui, la collaboration nous permet de conquérir un nouveau public. Tu vois, depuis que j’ai fait le premier featuring avec Soprano, il y a des jeunes qui écoutent ma musique maintenant et vice versa pour lui juste parce que nous avons fait Ouvrez les frontières, en 2007.
J’ai eu beaucoup de possibilités de collaborations au niveau local et même à l’international avec l’implication de gros sous. J’ai dit non. J’ai refusé à cause d’une raison: l’argent.
Je crois que les collaborations doivent se faire naturellement. Il doit y avoir une envie réelle et une chimie artistique. Or souvent, l’argent devient une monnaie d’échange.
Les artistes demandent ou proposent de payer pour une collaboration. Et là, je refuse. Avec Soprano, ça s’est fait à chaque fois naturellement et dans le plaisir. Nous avons une affinité artistique.
On parle de quels artistes avec qui l’argent a été un frein à une probable collaboration ? En fait, quel est le featuring que nous aurions pu entendre ? (Rires)
Wyclef Jean par exemple. (Sourires)
Par contre, je dois avouer que le seul featuring pour lequel je serai prêt à payer serait avec le reggaeman Burning Spear. Parce que lui c’est personnel. J’écoutais sa cassette quand j’étais jeune avec mon magnétoscope sur l’épaule à déambuler dans les rues. Pour moi travailler avec lui ferait en sorte que la boucle serait bouclée.
Quel est votre instrument préféré?
Le djembé. D’ailleurs, je me pratique pour pouvoir en jouer dans mes prochains shows.
Qu’est-ce que Tiken Jah écoute comme musique ?
J’écoute de tout, pas seulement du reggae. De la musique du Nigéria, de la musique malinké que mes parents écoutaient beaucoup. J’aime bien Soprano, Maître Gims.
Je peux te dire aussi que je ne change pas de poste quand la musique des jeunes passe. J’écoute.
Le monde est chaud a été réalisé par le jeune réalisateur ivoirien Akatché. Votre carrière internationale vous permet d’avoir un vaste choix mondial pour travailler avec un réalisateur. Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce jeune réalisateur pour cet album?
C’est la qualité de son travail en premier. Aussi, je voulais retrouver mon son d’avant. Je voulais retourner aux sources. Je voulais retrouver des musiciens ivoiriens.
D’ailleurs tout l’album a été fait en Côte d’Ivoire.
Mon histoire avec Akatché date d’il y a quelques années. Lorsqu’il avait 15-16 ans, Akatché faisait partie d’un groupe qui a participé au concours ivoirien PODIUM. Cette année-là, j’étais le parrain de ce concours. Le prix était un enregistrement professionnel d’un single dans mon studio. Ils sont donc tous venus à Bamako et nous avons travaillé deux jours ensemble. Tout cela s’est super bien passé. J’ai même acheté une basse au bassiste. Puis, nous nous sommes perdus de vue.
Mais j’insiste sur la qualité du travail d’Akatché qui a motivé mon choix. Par la suite, comme on dit au pays «son nom a commencé à sortir» parce qu’il a commencé à travailler avec plusieurs artistes comme Viviane Chédid, Sidiki Diabaté. Je suis alors entré en contact avec lui.
C’est aussi une responsabilité de révéler les jeunes artistes et musiciens talentueux. Tu vois sur l’album, le plus jeune musicien à 22 ans. Cette énergie se sent dans l’album, ça groove!
Tiken Jah, si les 54 pays de l’Afrique se constituaient en États-Unis d’Afrique ….
(un éclair dans les yeux, il renchérit aussitôt) On gagneraient tous les combats. C’est ma principale ligne dans mon discours. Aucun pays africain ne peut gagner ce combat seul. Nous n’avons pas de pouvoir décisionnaire face aux autres puissances mondiales.
Tu vois, c’est la principale raison pour laquelle (le Libyen Mouammar Kadhafi) a été tué. Il véhiculait cette idée qui fait peur à l’occident.
Pour te répondre, on deviendrait une puissance incroyable.
Mais comment ferions-nous ? L’Afrique est multiple, nous sommes tellement différents ?
Les États-Unis aussi sont différents, le Canada a des peuples différents. Nous devons essayer.
Est-ce que Tiken Jah Fakoly prend des vacances ?
Oui, mais c’est rare, car je suis souvent en tournée. Mais c’est important. Il y a une partie de notre travail que le public ne voit pas. Les répétitions, le travail de coulisses. Comme, je suis souvent en tête d’affiche, mes concerts débutent à 23 h donc je ne suis pas couché avant 3 h du matin.
Aujourd’hui, on reconnaît l’importance de prendre des vacances. Nos parents malheureusement, ne voyaient pas ce bénéfice ou n’avaient pas les moyens d’en prendre. Mais les vacances permettent au moteur de se reposer.
Et où prenez-vous vos vacances ?
En Afrique (Rires). La Côte d’Ivoire, le Togo ont de belles plages. Je me repose aussi dans ma ferme à Siby, qui se trouve à 45 minutes de Bamako.
La fameuse ferme avec des biches ?
Oui avec des biches, des autruches, des paons. Je me retire très souvent là-bas. C’est là que je trouve ma paix.