Régine Chassagne et ses acolytes d’Arcade Fire ont donné un spectacle magistral au Centre Bell même si de nombreuses questions restent en suspens plus de trois mois après les allégations d’inconduites et agressions sexuelles de la part du leader du groupe, Win Butler.
Retour sur la polémique
Après un passage très remarqué au festival montréalais Osheaga l’été dernier, la venue d’Arcade Fire au Centre Bell en novembre devait clore en beauté le We Tour, leur tournée internationale de plusieurs mois. Une soirée de festivités dans la ville de résidence d’un des meilleurs groupes de rock alternatif du pays (sinon le meilleur) et l’un des plus renommés (ils ont quand même remporté le Grammy de l’album de l’année en 2011 pour leur excellent The Suburbs).
Mais au mois d’août, une nouvelle fait l’effet d’une bombe: trois femmes accusent Win Butler d’inconduites sexuelles alors qu’une quatrième personne l’accuse d’agressions sexuelles dans les pages du magazine musical américain Pitchfork. C’est la douche froide pour le leader du groupe qui nie tout en bloc. Il a reconnu des relations extraconjugales (il est marié avec Régine Chassagne, membre fondateur et pilier du groupe). Les relations étaient toujours «consenties», selon lui.
D’ailleurs, Régine Chassagne s’est rangée du côté de son compagnon. Mais cela n’a pas empêché plusieurs radios de boycotter, dans la foulée, les titres du groupe. L’artiste canadienne Feist qui devait assurer les premières parties du groupe en Europe a décidé de quitter le bateau après deux dates. Beck, qui devait accompagner le groupe en Amérique du Nord pour 18 dates, a décidé d’annuler, lui aussi.
De nouvelles allégations en novembre
Autre tuile : le 22 novembre, dans le même magazine, une cinquième victime présumée de Win Butler a pris la parole et a dénoncé le comportement «émotionnellement abusif», «manipulateur» et «toxique» du musicien et chanteur à son encontre. Des allégations qui sont venues enfoncer le clou.
De nombreux amateurs du groupe ont alors tenté de se faire rembourser leurs billets (comme l’a rapporté le Journal de Montréal). Dans les colonnes de La Presse, des fans ont fait savoir leur ambivalence concernant ce concert. Mais au-delà de la polémique Win Butler, que valait ce spectacle au Centre Bell?
Un spectacle grandiose
Un seul mot pour qualifier ce spectacle: grandiose. La prestation de Win Butler, Régine Chassagne et leur groupe était tout simplement magistrale devant quelque 10 000 personnes. Tout y était: l’énergie, les chansons méticuleusement choisies, la fougue et la maîtrise de Win, Régine et de tous les musiciens du groupe. Il faudrait être d’une sacrée mauvaise foi pour affirmer le contraire.
On peut néanmoins dire que lors de la première moitié du spectacle (dont nous avons raté une partie), une drôle d’ambiance régnait tout de même au Centre Bell. Une ambiance un peu lourde. Le party a du mal à lever. Et il faut admettre que voir le parterre et les gradins remplis aux trois quarts avait de quoi étonner.
On pouvait s’attendre à ce que le groupe chouchou de Montréal puisse aisément remplir le Centre Bell. Et on peut imaginer que sans les allégations, les choses auraient pu être différentes avec un Centre Bell un peu plus garni (ce n’est qu’une supposition, bien entendu).
Arcade Fire en très grande forme
Deux scènes ont été aménagées pour accueillir les huit musiciens. Une grande scène principale, surmontée d’un écran géant en forme d’arche et une scène plus petite installée au centre du parterre. Une boule à facettes géante tournait d’ailleurs au-dessus de cette petite scène. Les moments forts de la soirée se sont produits sur cette scène plus modeste, dénuée d’artifices, sur laquelle la communion entre les musiciens était particulièrement visible.
Dans une forme olympique, les membres d’Arcade Fire ont enchaîné les chansons, sans vraiment prendre le temps de s’adresser au public durant les premières chansons. Même si Win Butler a été impeccable autant au chant qu’à la guitare, une chose sautait vraiment aux yeux durant le concert : la reine de la soirée, c’était Régine Chassagne.
Magistrale Régine Chassagne
Qu’elle soit derrière sa batterie ou derrière son piano, qu’elle se déhanche dans un imperméable brillant en entonnant l’entêtant Reflektor ou qu’elle donne tout ce qu’elle a en interprétant Sprawl II (Mountains Beyond Mountains) debout sur un piano à queue, il était impossible de la lâcher des yeux.
La magie a également opéré lorsqu’elle a saisi son accordéon sur le très efficace et fédérateur No Cars Go. Même chose sur Haïti, chanson hommage au pays qui l’a vue naître et dont Régine Chassagne est très attachée. D’ailleurs, sur cette chanson, Arcade Fire était accompagné du groupe haïtien Boukman Eksperyans (qui avait assuré la première partie). Un drapeau haïtien a même été brandi. Il y avait un petit air de carnaval dans l’air…
Des excuses camouflées?
Après une finale tonitruante sur les accents disco d’Everything Now, les membres du groupe ont investi la petite scène. Dans les minutes qui ont précédé, le Je reviendrai à Montréal de Robert Charlebois a résonné dans le Centre Bell. Premier message subliminal?
Quelques minutes plus tard, après avoir interprété End of the Empire I-III et End of the Empire IV (Sagittarius A*), Win Butler se met à chanter Bird on the Wire de Leonard Cohen. Et comme l’a si bien souligné Philippe Renaud dans son article dans Le Devoir, entendre les paroles de ce titre chanté par Win Butler avaient de quoi faire réfléchir.
« If I, if I have been unkind / I hope that you can just let it go by » : [Si j’ai, si j’ai été cruel, j’espère que tu peux simplement laisser filer]
« If I, if I have been untrue / I hope you know it was never to you » [Si j’ai, si j’ai été déloyal, J’espère que tu sais que ça n’a jamais été à ton égard]
« I have torn everyone who reached out for me / But I swear by this song / And by all that I have done wrong / I will make it all up to thee » [J’ai mis en pièces tous ceux qui voulaient m’atteindre, mais je jure par cette chanson, et par tout ce que j’ai mal fait, que je te le revaudrais]
Difficile de croire au hasard. À qui s’adressaient ces excuses à peine voilées de Win Butler? Aux présumées victimes? À sa compagne, Régine Chassagne? Au public? Seul lui le sait.
La fin d’Arcade Fire?
Alors que leur tournée We Tour s’est achevée à Montréal, l’avenir semblait plus qu’incertain pour Arcade Fire. Était-ce le dernier concert du groupe, comme beaucoup ont tendance à le croire? Il semblerait que non. Le festival espagnol Cala Mijas a confirmé sur son site internet que le groupe serait l’une de ses têtes d’affiche à la fin de l’été 2023 aux côtés de Florence + The Machine et The Strokes.
Affaire à suivre donc.