Le fleuve Congo, sur lequel est construit le barrage d’Inga, l’un des plus grands au monde avec un potentiel hydroélectrique immense, connaît une baisse du niveau des eaux sans précédent. D’ici août, le débit du fleuve pourrait chuter en-dessous de 30 000 m³/s, la moyenne habituelle en période d’étiage. Les délestages d’électricité dans le pays vont s’accentuer…
A 55 km de Matadi, la route asphaltée qui mène vers la cité d’Inga est encore en bon état. Habitée par 13 000 âmes, la petite agglomération pourtant bien urbanisée, a pris de l’âge. Ses belles infrastructures qui datent des années 70, à l’époque de la construction du barrage d’Inga, ont besoin d’un coup de jeune. Mais la priorité, c’est le barrage lui-même. Il traverse une période très critique.
Quand on arrive sur l’immense site qui abrite ses gigantesques ouvrages, sur le belvédère haut perché qui donne une vue panoramique sur les différents bras du fleuve Congo, on s’aperçoit du drame : des rochers et des bancs de sable sont visibles sur de vastes étendues. Le fleuve s’est complètement retiré sur une large bande de la rive droite : « Nous sommes sinistrés », alerte Mbuyi Tshimpanga, le directeur du site.
Depuis avril, les responsables de la Société nationale d’électricité (Snel), l’entreprise publique qui gère Inga, ont en effet observé une baisse sévère du niveau des eaux jamais connue auparavant. Alors que le débit du fleuve varie dans l’année entre 54 000 et 30 000 m³/s, la courbe du niveau des eaux a pris une pente inhabituelle cette année. Une baisse due, selon le directeur d’Inga, à la faible pluviométrie dans le bassin du fleuve. En 2004, un autre assèchement avait été observé, mais sans grande gravité.
Des jours plus sombres en Août
Au barrage Inga I, le niveau des eaux a presque atteint la cote d’alerte. Il n’est plus qu’à 40 cm au dessus du seuil minimum. « Nous ne devons pas l’atteindre, car cela risque de faire rentrer l’eau et l’air dans les conduites hydrauliques et poser de sérieux problèmes aux machines », prévient Mbuyi Tshimpanga. Il faut qu’il pleuve, implore-t-il presque, « sinon ce sera la catastrophe. » Mais le retour des pluies est encore loin, fin août début septembre.
Les techniciens de la Snel, qui redoutent que les turbines vétustes du barrage ne soient endommagés arrêtent, par moment, de faire tourner Inga I. Ils réduisent aussi la puissance de production de l’autre barrage, Inga II. Sur 14 turbines que comptent ces deux barrages, seule la moitié fonctionne. Les autres, en arrêt depuis des années, attendent d’être réhabilités. La Snel éprouve du coup d’énormes difficultés pour produire et distribuer l’électricité. Le 19 juin, elle n’a pu envoyer que 465 mégawatts à Kinshasa, au Katanga, à Matadi, Boma, à la ville de Bandundu et dans les Cataractes, contre une production habituelle de 615 mégawats.
Les pires moments sont à venir, quand le fleuve Congo sera en étiage (août). En attendant, les techniciens pensent à deux solutions. D’abord, résoudre le problème de manque de conformité du profil du seuil rocheux, « en taillant cette espèce de bosse à l’entrée du canal d’amenée des eaux aux barrages. » Ce qui permettrait de récupérer 30 % du volume des eaux. Mais cette solution technique prendrait du temps et devrait coûter des millions.
Pour l’heure, la Snel demande à ses clients, qui se plaignent du délestage permanent, de bien gérer le peu d’électricité qui leur est fournie, d’éviter les raccordements frauduleux et de payer leurs factures. « Il faut que l’Etat prenne une décision qui oblige les abonnés à éteindre absolument les lampes le jour », recommande Jérôme Makwala, directeur provincial intérimaire de la Snel Bas-Congo.
Payer ses factures
Avec les projets Inga 3 et Grand Inga, le site représente un énorme potentiel de 44 000 mégawatts. Inga I et II ont une puissance installée de 1775 mégawats. La Rd Congo pourrait, avec ces projets qui cherchent des bailleurs de fonds, fournir l’électricité à d’autres pays d’Afrique, en plus de ceux qui en bénéficient déjà (Zimbabwe, Botswana), et au-delà du continent. Mais le pays doit d’abord relever le vaste défi d’assurer la desserte nationale dont le taux se situe, selon les chiffres officiels, à 9 % de la population, évaluée à plus de 60 millions d’habitants.
A Kinshasa où les délestages se multiplient chaque jour, la catastrophe naturelle qui frappe le site d’Inga n’est pas encore très connue. Et les débats au niveau des politiques tournent autour de la privatisation de la Snel, souvent accusée de mégestion. Ce n’est pas la solution, « car le problème de cette société est lié au manque de financement pour la réalisation des grands travaux de réhabilitation de ses infrastructures », répond Mbuyi Tshimpanga, qui rappelle que les dettes non recouvrées de Snel sont estimées à plusieurs millions de dollars.
Par Alphonse Nekwa Makwala