Souvent victimes d’attaques d’hommes armés et peu confiants envers les coopératives d’épargne qui leur ont fait perdre de l’argent par leurs faillites, de nombreux paysans et commerçants de Beni, à l’est de la Rd Congo, préfèrent désormais placer leur argent en achetant des lopins de terre. Un investissement plus sûr dans cette région où la paix reste encore fragile.
Commerçant ambulant au grand marché de Beni, Gaston Kakule peut dormir tranquille. Il vient de construire deux maisons dans deux quartiers de cette ville du Nord-Kivu, au nord de Goma.
« Au total, j’ai dépensé plus de 30 000 $ », confie-t-il. Pour lui, comme pour de nombreux autres habitants de la région, c’est un investissement plus sûr que confier son argent à une banque ou une coopérative. Car, ici, beaucoup de petits épargnants gardent de très mauvais souvenirs des coopératives, tombées en faillite en cascade entre 2008 et 2009, faisant perdre leurs petites économies aux commerçants et aux paysans.
Ève Kaswera, commerçante, avait placé 2 000 $ dans une coopérative locale qui est tombée en faillite. Elle n’a jamais pu se faire rembourser et jure aujourd’hui de ne plus jamais recommencer : « Je considère les banquiers comme de gentils escrocs », tranche-t-elle, après avoir épuisé toutes les procédures judiciaires pour essayer de rentrer dans ses droits.
Ayant ruiné de nombreux épargnants, la fermeture de certaines coopératives locales a porté un énorme préjudice à l’économie de la région, sapant en même temps le peu de confiance que les habitants commençaient à avoir en elles.
Des champs lotis
Quand les paysans ou les commerçants se constituent un peu d’économies, s’ils ne thésaurisent pas leur argent au risque de se faire dépouiller un jour par des voleurs, ils préfèrent désormais acheter un lopin de terre pour y construire.
Les commerçants qui voyagent vers l’Ouganda voisin, et qui font de bonnes affaires dans la région de Beni et de Butembo, n’osent plus porter d’argent sur eux, comme ils avaient coutume de le faire. Des coupeurs de routes leur tendent des embuscades pour leur extorquer leurs biens. « Ils investissent donc dans des fermes, achètent des parcelles et construisent des maisons », explique Médard Katembo, président de la Fédération nationale des artisans et petites et moyennes entreprises, à Beni.
Cette ruée vers le foncier pousse aussi de petits paysans qui cultivent des champs en périphérie de la ville, à céder leurs terrains à de nouveaux acquéreurs. À cause de l’insécurité grandissante alimentée par des bandes armées, leurs récoltes sont régulièrement pillées.
Entre janvier et septembre 2011, une vingtaine de familles paysannes ont été victimes de telles attaques. « Des paysans ont accepté de nous laisser lotir leurs champs, car les acheteurs viennent de partout. En contrepartie, ils ont des moyens pour construire pour eux-mêmes et de mieux gagner leur vie », explique Paul Maseseme, géomètre à la division du Cadastre.
Les lotissements se multiplient ainsi dans toute la périphérie de Beni. Même des familles aux revenus modestes n’hésitent plus à acheter un terrain pour ne pas continuer à payer éternellement un loyer. Dans les faubourgs, les prix, souvent bas, varient en fonction de la distance par rapport à la ville. « Avec 300 $, j’ai acheté une parcelle de 25 mètres sur 20 (500 m², Ndlr) », se réjouit Étienne Kavudidi, étudiant.
Inquiétude des ONG
En ville, les terrains encore disponibles s’arrachent autour de 5 000 $. Des maisons poussent ainsi partout, transformant Beni en un vaste chantier. « Investir dans la terre (foncier, Ndlr) vaut mieux qu’acheter des biens de luxe que des bandits peuvent vite emporter », se convainc Matthieu Katembo, qui a pu se construire une maison loin du centre-ville.
Mais cette tendance des habitants à ne plus placer leurs économies en banque inquiète certaines organisations non gouvernementales. Elles interpellent les autorités et les opérateurs du secteur pour qu’ils redorent l’image des banques et des coopératives. À ceux qui préfèrent investir leur argent dans le foncier, Mbafumoja Katembo, expert comptable, explique, lui, que « l’économie et le développement de Beni ne peuvent pas se faire sans institutions bancaires. »
Par Jacques Kikuni Kokonyange