Fatéma Hal, originaire d’Oujda, ville frontalière entre le Maroc et l’Algérie est connue et reconnue dans le monde de la cuisine avec plusieurs livres de recettes dont : Ramadan la cuisine du partage aux éditions Agnès Vienot en 2006 ou encore Le meilleur de la cuisine marocaine chez Hachette Pratique en 2008.
Ambassadrice de la cuisine marocaine, elle a parcouru de nombreux pays de multiples fois notamment, afin de prendre part à des colloques aux sujets divers et variés avec un lien notable pour l’art de la nourriture. Fatéma Hal revient aux Éditions Philippe Rey cette fois-ci avec une autobiographie, Fille des frontières, retraçant son parcours de femme marocaine, plus tard immigrée à Paris.
Étonnante initiative pour Fatéma Hal que de délaisser ses livres de recettes pour offrir à son lectorat, un récit de vie au titre annonciateur, Fille des frontières. Place importante donnée aux limites géopolitiques, car dans ce roman, Fatéma Hal laisse parle longuement de sa ville natale qu’elle n’hésite pas à célébrer, Oujda, située à quelques kilomètres de l’Algérie.
À travers les ruelles et les souks de la ville marocaine, la nouvelle auteure y raconte son enfance dans les impasses, son quotidien auprès de ses frères et soeurs et de sa mère dont elle souffrira pendant longtemps de ne pas mériter toute l’attention et l’affection de celle-ci.
Découpé en plusieurs chapitres, le roman de Fatéma Hal dresse des portraits de femmes réalistes et attachants, en plus de narrer sa propre vie. Tantôt à travers ses souvenirs, tantôt avec le recul que lui confère l’âge adulte, Fatéma Hal aborde des thématiques propres à la condition de la femme : polygamie, répudiation, importance de la virginité avant le mariage, stérilité, etc.
Drames abordés d’un point de vue plus féminin que social, Fatéma ne semble pas souhaiter dénoncer les us et coutumes ancestraux d’un pays mais plutôt mettre en avant le vécu lié parfois à la souffrance de ces femmes. Elle met en lumière, par la même occasion, leurs combats émérites dans une société dans laquelle elles ont décidé de s’impliquer fortement.
Pour celles et ceux qui se questionneraient sur la présence potentielle de la cuisine, Fatéma Hal ne décevra personne, car ses confidences existentielles sont entremêlées de plats dont les parfums imprègnent savoureusement chaque page, chaque phrase, presque chaque mot.
«Khadidja avait de nombreux atouts. Notamment une grande dignité, et le sens de la franchise et de la fidélité. Khali Mimoun ne lui demandait rien, car sa femme allait toujours au-devant de ses envies. Elle avait un talent spécial pour préparer le matloua, un pain au levain cuit sur un plat en terre appelé ferrah ou tagine le koubs, qu’il ne faut pas confondre avec le plat en terre composé d’une base et un d’un chapeau. Moelleux et croustillant, ce pain accompagne à merveille la salade de mauve à l’ail. Elle préparait aussi la khobzat fil wassat (la «galette au milieu»), une succulente galette de semoule moyenne mouillée à l’huile d’olive. Une fois cuite dans le ferrah, elle est servie avec une boule de beurre de baratte placée en son milieu » (p.91)
La fille des frontières est un roman qui se dévore littéralement. Son essence se trouve dans les derniers chapitres où Fatéma Hal entretient un dialogue avec son lecteur, lui racontant en filigrane son ambition principale, née en même temps que ces premiers plats servis dans son restaurant le Mansouria : la volonté de faire de la cuisine, un art politique de la réconciliation, dépassant toutes les frontières possibles.