A vouloir pêcher plus et rapidement, les pêcheurs de l’Équateur, au nord de la RDC, mettent à mal les écosystèmes, limitant la reproduction et le développement des poissons. La traditionnelle et prospère pêche à la nasse qui les respectait tend à disparaître.
Pêcheur de longue date sur le fleuve Congo à Bakanga (10 km en aval de Mbandaka), le septuagénaire Nestor Munsonga ne cesse de regretter le bon vieux temps. Alors, en ce début de la petite saison pluvieuse d’avril, il pouvait déjà poser de nombreuses nasses en toute sérénité, assuré de faire ses premières captures et se constituer un stock. Aujourd’hui, il a du mal à en installer ne serait-ce qu’une dizaine.
Toutes les herbes et les arbustes bordant le fleuve aux environs de son campement ont été déracinés ou coupés par d’autres pêcheurs qui, eux, emploient soit les « nkala », une sorte de treillis faits de raphia, soit des filets à très petites mailles en forme de poche. « Voilà ce qu’ils ont fait…, se lamente Nestor. C’est par ici que nous débutions notre campagne. Maintenant, il ne reste plus rien. Il nous faut attendre que les îlots soient inondés pour aller chercher des endroits où poser nos nasses. Et si cela n’arrivait pas, qu’est-ce-que nous deviendrons ? ».
Une technique ancestrale propre
Technique traditionnelle séculaire pratiquée par la tribu « Libinza » et apparentés dans la province de l’Équateur, la pêche à la nasse s’effectue en bordure des cours d’eau et n’attrape souvent que de gros poissons au sein de la flore aquatique, « milieu de vie de poissons par excellence ».
« Or, les autres pêcheurs, eux, scrutent sans cesse les berges des cours d’eau à la recherche du moindre espace herbeux. Une fois repéré celui-ci est encerclé, toute sa végétation coupée et arrachée afin d’en recueillir, sans distinction de taille, toutes les espèces de poisson qui s’y trouvent, regrette le vieux Nestor. En détruisant ces sites halieutiques, ils nous privent de notre terrain d’exploitation et empêchent les poissons de se reproduire ».
Timothée Mangwele, agro-vétérinaire et fervent pratiquant de la pêche à la nasse soutient que cette manière de procéder a des implications néfastes sur l’environnement et sur leur pêche. « En s’attaquant de façon effrénée à ces espaces, on réduit considérablement le nombre des sites halieutiques, on détruit les frayères (lieux de reproduction des poissons) et on prive les poissons de leur nourriture », fait-il observer remarquant une baisse de productivité. « Des pêcheurs reconnaissent que certaines espèces de poissons comme le « mboto » et le « monganza », de gros calibre, ne se font plus prendre en quantité comme par le passé », dit-il.
Pour JB Maleka, assistant à l’Institut supérieur de Pêche à Mbandaka, la pêche à la nasse est très écologique : elle ne se pratique que pendant la période de crues (avril-mai et août-décembre), laissant ainsi le temps aux poissons de se reproduire et de se développer. Pour être mise en oeuvre, cette technique de pêche exige la présence de la végétation aquatique, ce qui contribue à préserver l’écosystème.
Réglementer la pêche
Moins rentable, la pêche à la nasse n’attire cependant plus autant de monde. Finie l’époque où l’on pouvait contempler, au mois d’août, des villages entiers vidés de leurs habitants, des centaines et des centaines de personnes descendant le fleuve Congo à destination de lointains campements du sud et ne rentrer qu’à la mi-décembre. Les jeunes surtout s’en désintéressent. Bionic Mobonga, l’un d’eux s’en explique : « à quoi sert-il de fabriquer des nasses en grande quantité lorsqu’on sait qu’on n’aura pas assez d’espace pour les poser et qu’en définitive, on ne récoltera pas grand-chose ? Moi j’ai abandonné… », se désole-t-il.
Nostalgiques, les personnes âgées refusent de s’avouer vaincues. « Il faut règlementer la pêche. Tolérer les mauvaises pratiques, c’est appauvrir et la population et l’environnement », demande Timothée.
Par Mathieu Mokolo