Pour la très grande majorité des Rwandais, l’anglais, de plus en plus utilisé dans les banques, les commerces et les médias et de règle dans l’administration, reste une langue étrangère. Ne la comprenant pas, ils sont très gênés dans leurs démarches et ont tendance à fuir les commerces qui ne la traduisent pas.
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Un client et un guichetier d’une grande banque de Kigali ont failli en venir aux mains récemment. Le client demandait à l’agent de banque de l’aider à remplir le bordereau de retrait libellé en anglais. Mais le banquier n’a pas voulu coopérer.
« Si vous-même, vous n’êtes pas en mesure de remplir un document en anglais, comment voulez-vous que les clients le fassent ? », tonne ce client très en colère, vite soutenu par un grand nombre d’autres. De nombreux Rwandais ne cachent pas leurs difficultés à remplir des documents bancaires ou administratifs de plus en plus souvent rédigés dans une seule langue, l’anglais, qu’ils ne maîtrisent pas.
Dans les rues de Kigali, les enseignes en kinyarwanda ou français se raréfient au profit de l’anglais. Il en est de même dans les média. La télévision rwandaise, TVR retransmet les émissions des chaînes étrangères anglophones comme la BBC, la Voix de l’Amérique (VOA), la Deutsche Welle et la South African Broadcasting Corporation (SABC) pour remplir 24 heures d’antenne.
Les chroniques et le journal parlé forment l’essentiel des émissions purement nationales. Même dans des radios privées, l’anglais prime. « On dirait que ces banques et ces stations de radio ne ciblent pas un grand nombre de Rwandais », estime un villageois de Bugesera, Est. Pourtant la constitution nationale reconnait le kinyarwanda, le français et l’anglais comme langues officielles.
De nombreux clients se gardent de s’approvisionner dans certains magasins qui ne présentent leurs articles qu’en anglais. « On risque d’acheter des aliments pour les animaux croyant qu’ils sont pour les hommes si les vendeurs ne sont pas prêts à tout expliquer, ironise un habitant de Kigali. Les commerçants devraient présenter leurs marchandises dans une langue parlée par la grande partie de la population, le kinyarwanda ».
« Les banques et autres entreprises commerciales qui imposent de remplir des papiers à chaque opération devraient faciliter cet acte à leurs clients en traduisant les données dans plusieurs langues », suggère un économiste de Kigali. Pour lui, « favoriser une seule langue dans le commerce, c’est exclure un certain nombre de clients ».
Du snobisme
Les jeunes Rwandais sont eux de plus en plus nombreux à se passer de leur langue maternelle. Des fonctionnaires formés en français s’efforcent de parler un anglais approximatif, « pour s’y exercer ou donner l’impression qu’ils en sont capables ». D’ores et déjà, « c’est devenu un snobisme chez les jeunes et les intellectuels que de parler anglais », remarque un enseignant de Butare.
« Mais les lauréats des universités rwandaises parlent un cocktail de langues. L’anglais qu’il parle ne peut pas leur permettre d’entrer en compétition avec leurs collègues de la région anglophone », constate un enseignant à l’université nationale de Butare, au sud du pays. Après trois ans d’expérience, le gouvernement est revenu en partie sur sa décision, enjoignant aux enseignants d’utiliser exclusivement le Kinyarwanda durant les trois premières années du primaire.
A noter que le Rwanda a adhéré au Commonwealth, fin 2009 tout en restant membre de l’Organisation internationale de la Francophonie dont il fait partie depuis les années 70.
Par Fanny Kaneza
Photo: Flickr