Commis à la surveillance des ports et aéroports à Kinshasa, certains policiers et militaires se livrent à la concussion, en exigeant des voyageurs des frais indus. Des victimes de ces pratiques portent plainte auprès de l’Auditorat militaire, qui applique strictement la loi en la matière.
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« Halte passez par ici ! », « Qui êtes-vous ? », « Montrez votre billet ? », « Où allez-vous ? ». Policiers et militaires postés dans les ports et aéroports de Kinshasa martèlent généralement ces questions, d’un ton intimidant, aux voyageurs ou à ceux qui les accompagnent ou viennent les accueillir. L’objectif est d’exiger d’eux de l’argent. En novembre 2012, l’Auditorat militaire a dû déployer des agents de la Police judiciaire sur ces sites, pour constater les faits et arrêter ceux qui étaient surpris en flagrant délit.
Dix policiers notamment sont tombés dans les filets de la Police judiciaire. Leur victime, Cathy Kashala, a porté plainte contre eux, les accusant de lui avoir fait rater un vol à l’aéroport de Ndjili.
« Ma cliente a été empêché d’entrer dans l’enceinte de l’aéroport, parce qu’elle a refusé de payer les 5 000 Fc qu’exigeaient ces policiers », explique Me Serge Makaya, avocat de MmeKashala. Ils ont tous comparu devant le tribunal militaire de N’sele, dans la périphérie Est de Kinshasa.Jugés en procédure de flagrance, ils ont été condamnés à 5 ans d’emprisonnement pour infraction de concussion, et au payement des dommages et intérêts.
Pratiques à la peau dure
Dans une autre procédure de flagrance organisée en chambre foraine au tribunal militaire de Matete, cinq autres policiers ont été condamnés de 5 à 8 ans de servitude pénale. Ils étaient aussi poursuivis pour des faits similaires commis, cette fois, dans des ports situés le long du fleuve Congo, à Kinshasa.
Ils y opéraient avec ou sans ordre de mission. L’une de leurs victimes, un commerçant qui fait des navettes entre les provinces et la capitale, s’était constituée partie civile dans ce procès. « Les prévenus avaient retenu ses sacs de manioc, parce qu’il avait refusé de leur en donner un qu’ils ont coutume d’exiger des voyageurs, au titre de ‘droit de port’ dû à leur service », rapporte l’avocat du commerçant, MeMputuKabemba.
Dans le premier ou le second procès, les prévenus ont été jugés au regard de l’article 77 du Code pénal militaire. Celui-ci condamne de 5 à 10 ans de servitude pénale et d’une amende de 5 000 à 10 000 Fc, notamment « tout militaire, assimilé ou tout policier qui aura exigé ou ordonné de percevoir, même avec l’autorisation d’une autorité, ce qu’il savait n’être pas légalement dû », fait savoir Charles Useni, magistrat militaire.
Malgré ces procès en flagrance et le déploiement des agents de la Police judiciaire en tenue civile dans les ports et aéroports, ces mauvaises pratiques ont la peau dure. « Actuellement, les autres militaires et policiers ont changé de stratégie. Ils opèrent via des civils », témoigne Olivier Musa, agent à la Régie des voies aériennes (RVA), entreprise publique chargée de la gestion des aéroports. Selon ses constats, ces civils approcheraient les passagers dès leur descente de taxi, et proposeraient moyennant 2 000 à 3 000 FC de leur « faciliter l’accès à l’aéroport » en franchissant allègrement les barrières, l’une gardée par les militaires, l’autre par des policiers…
Ni droit ni qualité
S’exprimant sous couvert de l’anonymat, un autre agent de la RVA explique que les militaires ou policiers sont affectés dans les aéroports avant tout pour en assurer la sécurité. « Ils n’ont en aucun cas qualité de percevoir une quelconque somme ou taxe auprès des voyageurs. En principe, ils n’ont même pas le droit de contrôler les passagers et leurs biens », insiste-t-il.
Il en est de même pour les ports. Militaires et policiers y sont commis pour garder ces lieux. Mais ils outrepassent souvent leur mission et procèdent au contrôle des biens des voyageurs sur lesquels ils prélèvent des taxes. « Le contrôle des biens et des passagers relève de nos services. Nous constatons malheureusement que des militaires font également le travail que nous devons exclusivement faire », regrette un agent de la Direction générale des migrations (DGM).
Par Papy Mbaki