Léonora Miano était de passage à Montréal à l’occasion de la promotion de son ouvrage, Première Nuit, une anthologie du désir, publiée chez Mémoire d’encrier. Touki Montréal l’a rencontrée et lui a posé quelques questions.
Votre roman, La saison de l’Ombre, conte les interrogations et les douleurs de ceux qui ont vu disparaître leur proche lors de la traite négrière. La remise en cause de ce qu’on pourrait appeler «L’histoire des vainqueurs» est au cœur de votre travail d’auteur. Pourtant vous n’êtes ni historienne, ni sociologue, quel est donc l’apport de la fiction à ces interrogations ?
Déjà, je ne me place pas dans la position de celle qui voudrait écrire pour répondre au vainqueur parce que, précisément, ce serait se placer dans une posture à la fois d’infériorité constante et d’obligation permanente de répondre au regard de l’autre. Je pense que c’est à l’autre de faire un travail sur son propre regard et pas tellement à moi !
Je m’attache à essayer de raconter l’histoire des subsahariens et des afro-descendants de leurs propres points de vues. Ce qui d’ailleurs ne signifie pas que je les valorise forcément, il y a toute sorte de figure : des criminels, des gens nobles, mais ce qui m’importe c’est que ce propos soit afro-centré.
[audio:https://toukimontreal.com/wp-content/uploads/2014/04/Apport-de-la-fiction.mp3]À propos de Première Nuit : Diriger une anthologie, qu’est ce que ça change dans le geste créateur ?
Absolument rien. L’anthologie est un prétexte pour générer des textes qui de moins de vue manquent à la production subsaharienne et afro-descendante de langue française. C’est une démarche peut être un peu politique.
[audio:https://toukimontreal.com/wp-content/uploads/2014/04/Choix-Editeur.mp3]Mémoire d’encrier est un éditeur à part dans le paysage culturel montréalais. Pourquoi avoir voulu cette collaboration ?
Alors que vos premières œuvres s’emparaient de leurs sujets avec une écriture frontale, violente et crue, on sent une progression dans votre œuvre. Il semblerait que vous vous montriez plus douce avec votre lecteur. Notamment dans La saison de l’ombre, qui malgré la douleur de son sujet, raconte le monde pré-colonial avec un grand souci didactique. On apprend tout autant que l’on est interpellé.
La saison de l’ombre ne se veut pas «didactique», sinon ce serait un mauvais roman ! Mais en effet, le texte offre la représentation d’un monde aujourd’hui méconnu, donc en rentrant dans cet univers on découvre des pratiques oubliées, et de ce point de vue là oui, on y apprend des choses.
Ensuite, est ce que je suis plus douce ? J’ai vieillie, cela n’échappe à personne ! [rires] Je ne sais pas si je suis plus bienveillante, mais je n’ai pas besoin de crier pour me faire entendre.
Et j’essaie de faire un peu plus de roman, je ne veux pas écrire des textes à thèses. Je veux rester sur l’intériorité des personnages, voir leur intimité. Même si mes livres sont toujours traversés par des questions politiques, historiques, je veux que ce soient des œuvres sensibles.
[audio:https://toukimontreal.com/wp-content/uploads/2014/04/Exposition-mediatique.mp3]Avec Première Nuit, vous faites le choix du charnel, de l’incarnation. Sur la quatrième de couverture du livre il est écrit qu’il y sera question de Sexualité subversive. En quoi est-ce qu’un recueil de littérature érotique écrit par des écrivains des mondes noirs serait plus subversif qu’un roman à simple vocation excitante ?
Déjà je ne sais pas si les textes de première nuit sont à vocation excitante. Je pense que le fait de travailler la question du couple et de son intimité quand on vient d’espaces brutalisés par l’Histoire et toujours en quelque sorte dominés, c’est forcément subversif parce qu’on attend de vous que vous ne travailliez pas sur votre intimité mais sur la question politique et sociale.
Travailler sur votre intimité c’est reprendre vos droits sur votre humanité et sur ce qu’elle a de plus profond et de plus universel, et donc de moins ostracisable. Forcément c’est politique.
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Auteure prolifique, vous semblez sans cesse déjouer les attentes tout en gardant une ligne de conduite fidèle : est-ce qu’être là où l’on ne vous attend pas fait partie de votre démarche intellectuelle en tant qu’écrivaine, qu’artiste ?
Non c’est plus simple que ça, je ne sais pas où on m’attend et je me pose pas la question. J’écris ce qui me semble nécessaire à un instant T et ça ne va pas plus loin.
La musique parcourt votre œuvre, vous avez donné un «récital poétique» Out in the blue récemment au Musée Dapper à Paris. Est-ce que le chant est un de vos horizons artistiques ?
Oui, je vais continuer !
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