Djely Tapa, la griotte qui rêvait de devenir pilote d’avion!

L’auteure-compositrice et griotte Djely Tapa sort un premier album, Barokan. Au cours d’une entrevue poignante et sincère avec Touki Montréal, cette féministe convaincue s’est longuement confiée sur son enfance au Mali, ses batailles, ses rêves et sur ce premier opus.

D’où vient cette voix puissante?

Je suis une enfant de mère et de père griots. Ma mère est la griotte Kandia Kouyaté. C’est une des plus grandes voix maliennes. Une pionnière dans la fusion de musique traditionnelle et contemporaine.  

Elle a déjà joué avec l’Orchestre symphonique de Paris. Elle avait, non seulement  le souci de garder la tradition mandingue, mais aussi de la faire évoluer en la fusionnant avec d’autres instruments modernes. D’ailleurs, c’est une des premières artistes maliennes à avoir fait le tour des Amériques, à promouvoir notre culture à l’extérieur de l’Afrique.

Dans les familles de griots, tout vient naturellement, depuis le jour où on est dans ventre de sa mère, on est bercé par ces traditions de chants, de danses, de conte. À la naissance, c’est souvent la plus vieille chanteuse de la maison qui viendra cracher dans ta bouche pour te léguer la voix.

L’école de chant des griots est simple. Chaque jour, on t’apprend comme si c’était un jeu une nouvelle phrase, une nouvelle mélodie et c’est en grandissant que j’ai fini par comprendre ce que je chantais et à y mettre une émotion. Tout ce bagage te vient naturellement.

Racontez-nous votre enfance

Nous habitions tous dans la même cour, avec mes frères et mes sœurs (cousins, cousines portant tous le même nom de famille), à Kayes, dans la famille paternelle. Ma grand-mère, malgré notre devoir et destinée de gardiens de la tradition, nous a quand même inscrite à l’école.

À cet âge, je souhaitais juste apprendre à écrire mon nom et arrêter l’école. Jusqu’à ce qu’un jour, j’apprenne par un ami de la famille que l’auteur de l’hymne national du Mali, Seydou Badian Kouyaté, qui est devenu ministre par la suite venait d’une famille de griot. Ce qui revenait à dire qu’un enfant de griot pouvait étudier!  Et ce fut l’élément déclencheur en moi pour l’amour des études, savoir qu’un griot avait accompli de grandes choses au niveau national.

Ma grand-mère vieillissante a demandé à mère de me prendre à Bamako pour y vivre avec elle, et ce fut un choc.

J’ai déménagé du village à un quartier huppé d’expatriés. Je passais de la tradition à une éducation occidentalisée. À 11 ans, je ne voulais plus faire de musique. Je souhaitais juste étudier et voulais qu’on s’adresse uniquement à moi en français. (RIRES)

D’aussi loin que vous vous souvenez, quelle a été votre plus grande bataille?

Avec des études en mathématiques pures, j’ai obtenu mon BAC (diplôme de fin d’études secondaires générales) en sciences exactes. Mon premier rêve était de devenir pilote d’avion, puis je me suis intéressée à la pharmacie, la médecine.

Je n’ai jamais rien eu de facile dans la vie. Je me suis toujours battue pour avoir ce j’ai, que ce soit dans la vie personnelle ou professionnelle. Une de mes premières batailles était contre moi même. Je devais me convaincre que les enfants de griots avaient le droit d’étudier et d’aspirer à de grandes carrières.

[D’ailleurs], ma fascination pour les avions est toujours très présente. Je suis arrivée ici à Montréal avec une admission à l’école Polytechnique, en génie mécanique (aéronautique), même si mon rêve a ensuite été brisé. (Une période de ma vie avec laquelle je n’ai pas fait la paix). Qui sait?  Je prendrai peut-être un jour des cours de pilotage.

Je veux donner comme message aux filles d’étudier. Avant moi, aucune fille de lignée de griot n’avait eu le BAC. S’il s’agissait juste de ça, je pourrai dire que j’ai gagné mon pari, car aujourd’hui au Mali, elles vont à l’école et réussissent leur BAC.

Vous dites qu’il ne s’agit pas juste de ça. Il s’agit de quoi d’autre ?

De l’épanouissement, on n’est pas enfermé dans une tradition. Étudier m’a permis de devenir la griotte que je suis aujourd’hui. Je me sens vraiment chez moi au Québec.

Quel est votre message aux femmes, aux filles? Êtes-vous féministe ?

Oui je le suis et je l’assume complètement. Je suis féministe contre les féministes qui croient que les Africaines sont soumises. J’étais féministe au Mali. Je me suis toujours intéressée aux droits des femmes et à leurs intérêts dans la société.

Je souhaite que les gens sachent que la femme africaine soumise est une caricature. Quand ici au Québec la femme québécoise n’avait pas le droit de voter, la femme peule Bororo en Afrique avait le droit de choisir son mari et était entrepreneure. Il y a avait déjà des femmes [occupant le poste de] générale dans l’armée.

Il y a un proverbe africain qui dit: « La nuit porte conseil ». Je peux dire que c’est la femme qui porte conseil à son mari durant la nuit sur l’oreiller. Je ne souhaite pas «porter le pantalon». Par contre, je demande à ce que l’homme respecte ma jupe au même degré que je respecte son pantalon.

Outre votre carrière solo, vous êtes dans d’autres projets. Vous êtes la chanteuse principale du groupe Afrikana Soul Sisters, en spectacle le 31 décembre dernier au Vieux-Port de Montréal. Trouvez-vous qu’il y a un changement quant à l’ouverture de la scène québécoise aux artistes issu(e)s de l’immigration ?

Ce sont des scènes fermées aux artistes black en général, mais je sens qu’il y a une petite ouverture. Je constate une légère évolution.

C’est Caleb Rimtobaye d’Afrotronix qui a réalisé votre premier album. Comment est arrivée cette rencontre?

Simplement. De façon très fraternelle, comme si on venait de la même famille. J’ai rencontré Caleb, il y a quelques années, après une entrevue lors des Nuits d’Afrique. On s’est présentés, il appréciait ma voix déjà et il m’a dit qu’il voulait qu’on travaille ensemble.

Nous avons réalisé que nous avions pratiquement la même vision musicale. Je me suis toujours demandé comment sonnerait cette musique traditionnelle avec des instruments modernes. Caleb était dans un cheminement similaire. Il avait une vision futuriste de la musique africaine.

Nous voulions définir nous-mêmes la musique afrobeat, car aujourd’hui ce qu’on nous propose comme musique dite Afrobeat est issu d’un seul pays: le Nigéria.

Que voulez vous dire ?

J’ai l’impression qu’on veut nous imposer ce style. Or l’Afrobeat, c’est la façon de respirer des Africains, la façon de marcher. C’est le rythme qui accompagne les femmes africaines qui pilent le mil. Ce sont les chants qui les accompagnent lorsqu’elles cultivent.

L’Afrique est un continent, pas un pays! On ne devrait pas définir l’Afrobeat, selon le rythme d’un seul pays.

Caleb a aussi cette vision-là d’une Afrique au pluriel. Nous avons fait un laboratoire musical. Et notre premier essai a fonctionné. Nous avons alors compris que la musique traditionnelle et moderne était compatible.

J’avais déjà travaillé sur un album pendant longtemps que j’ai mis sur la glace. J’ai dû laisser aller cet album…les années ont passé et j’étais rendue musicalement ailleurs. Peut-être qu’un jour j’y reviendrai.  

Barokan c’est la femme que je suis devenue.

La musique est très proche du cœur. J’aimais où Caleb amenait ma musique. Il comprenait ma vision et où j’étais rendue avec ma voix.

Chose certaine, cet album ne serait pas possible sans le soutien de la communauté africaine.  Et je veux remercier cette communauté. Parce que depuis plusieurs années, ils m’ont acceptée comme leur griotte à travers, les évènements (mariages, baptêmes, deuils).

Quel sera votre prochain projet?

Il y aura un deuxième album et un autre vidéoclip. Mon rôle est aussi de continuer ce travail communautaire de griotte, de donner des ateliers dans les écoles.

Je crois que nos enfants qui sont nés ici doivent être sur le même pied d’égalité que les enfants québécois de souche. Et c’est en partie pour cette raison que je donne des ateliers dans les écoles pour que tous connaissent aussi l’histoire de l’Afrique à travers les contes, les chants, la danse.

Pour en savoir plus:

 

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