« Chumbo », roman graphique de Matthias Lehmann

Paru chez Casterman, le sublime roman graphique Chumbo de l’auteur et dessinateur Matthias Lehmann retrace une partie des années sombres du Brésil en se concentrant sur une saga familiale inspirée de la sienne.

Dans ce chef d’oeuvre de 368 pages en noir et blanc, le lecteur découvre la famille d’Oswaldo Wallace, propriétaire minier un peu rustre se servant de tout son pouvoir pour préserver son influence. À ses côtés, il y a sa femme Maria-Augusta, dévouée, en retrait, mais non moins puissante. Elle lui a donné cinq enfants, deux garçons et trois filles.

Leurs fils Ramires et Severino n’ont qu’un an de différence, mais sont diamétralement opposés et grandiront toujours avec cette distance. Le premier est un filou qui va tomber rapidement dans l’univers toxique des jeux de hasard et de la séduction à outrance, en plus de soutenir le régime militaire tandis que le second est plus introverti.

Journaliste, Severino aka Andrade, à contrario de son frère, va s’opposer à la politique répressive qui s’installe à Bello Horizonte et dans tout le pays à cette époque. On parle alors des « années de plomb » ou Chumbo en portugais.

D’ailleurs, le lecteur a le luxe de voir évoluer ce grand pays d’Amérique du Sud. Pendant 60 ans, on suit à la fois les tribulations de la famille Wallace, mais aussi l’évolution politique, sociale et culturelle, notamment de cette révolution devenue dictature militaire.

Rapidement, l’auteur va faire du lecteur un témoin privilégié d’un terrible secret que doivent partager les frères Wallace et qui les suivra/hantera tout au long de leur vie. Il découvrira comment ce père propriétaire de mines de manganèse va tout faire pour mater les balbutiements d’un mouvement syndical et même « communiste ». Même si le paternel rendra l’âme assez rapidement dans l’histoire, ses complices continueront de sévir.

Cette histoire, l’auteur la raconte en s’inspirant un peu de la sienne. Évidemment, il y a une grande part de fiction (ce que permet le medium), mais il sait pousser le bouchon au max. Torture, dictature, jalousie, mensonge, trahison mais aussi fraternité, amour, lutte sociale, émancipation sont autant de thèmes abordés par l’auteur.

Le trait en noir et blanc donne une dimension puissante à cette fresque. Il y a aussi tous les documents (coupures de presse et illustrations) intercalés ici et là pour appuyer tel propos ou mieux expliquer tel autre vision. L’histoire commence à Belo Horizonte à Congado en 1937 et se referme en 2003 dans la même province. À noter qu’il vaut mieux être concentré pour entreprendre la lecture de ce roman. Il faut aussi s’attendre à quelques images/pages un peu chaudes illustrant souvent l’expression de la domination.

Né en 1978, Matthias Lehmann est un dessinateur franco-brésilien vivant et travaillant dans la région parisienne. Il a publié près de dix albums, dont notamment le succès La Favorite, paru en 2015 et lauréat de plusieurs prix. Pour cet album, il a fait plusieurs résidences en 2020 et 2021, notamment à la Maison des Auteurs à Angoulême, à la Villa Médicis à Rome et à la Drawing Factory à Paris.

Chumbo, Matthias Lehmann, édition Casterman, 368 pages.

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